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 Journal d’une jeune provinciale sérieuse.

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nane
alpero
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alpero
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MessageSujet: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 12:36

puisque je vois qu'on peut diffuser des textes longs, atte'ntion à vous, voici le début d'un roman...





Journal d’une jeune provinciale sérieuse.



Introduction



Ma mère est adorable et mon père est fantastique. Ils sont comme deux vieux gamins qui jouent à s'aimer dans la cour de récré. Leur différence d'âge les rend encore plus touchants. Papa protège Maman comme si elle était sa fille et Maman s'inquiète de Papa comme d'un vieillard qui pourrait tomber à chaque instant.
Oui, ils ont adorables tous les deux et je les adore, mais...
Mais ils trimballent dans leur passé une chose que je ne comprends pas... J'ai remarqué depuis longtemps que Maman a toujours comme un nuage dans les yeux quand elle m'appelle par mon prénom et qu'elle a passé toute mon enfance à m'affubler de sobriquets gentils mais ringards.
Et puis, j’ai eu une sœur…enfin, je ne l’ai pas eue vraiment. Elle est disparue, je crois, quand je naissais. J'ai remarqué depuis longtemps que Papa n’en parle jamais, pourtant, je sens qu’il l’aimait… et puis maman et elle ont du se connaître :j’ai cru comprendre qu’elles avaient le même âge.
Alors, parce que ça me chiffonne, ces secret, j’ai passé des mois à fouiller un peu partout pour comprendre.
Et puis, l’autre jour, les parents sont partis chez des amis. Moi, comme j'avais un dossier à termine je suis restée... j'ai traîné dans l'appart et cette fois-ci, j'ai trouvé.
Dans la petite armoire où Maman range ses maquillages, ceux qu'elle ne veut pas que je pique, "qui sont trop bien pour ce que tu en fais, on verra plus tard... en attendant, prends ceux-là". Tu parles, c'était son coffre fort : sur la dernière étagère, planqué sous un vieux France-Soir au fond d’une boîte emplie de flacons à moitié vides, j'ai trouvé son cahier.
Maman a écrit un journal !
Il est neuf heures, ils ne rentreront pas avant minuit. Je m'installe et en avant pour le grand voyage historique.
Ça commence comme ça :

Le silence qui suit l'une de ses œuvres est encore de Mozart, on me l'a souvent dit.
Je jure, pour ma part, que celui qui suit la mort de Mimi dans cette salle où nous sommes une centaine à être venus voir vivre et mourir l'héroïne de la "Bohème" sous l'apparence et surtout la voix de Barbara Hendrix, doit tout à Puccini, lui. Comme sans contredit, à lui seul sont redevables de leur existence, les pleurs que je sens couler de mes paupières.
Bientôt, des reniflements se font entendre un peu partout dans la salle. Ces confirmations sonores me rassurent : je ne suis pas la seule à laisser parler mon émotion avec si peu de pudeur.
Que c'était beau !
Mes jambes tremblent autant que mes yeux débordent. Je me sens encore tellement dans la pauvre chambre, à pleurer la malheureuse grisette, que je resterais bien sur place afin d'assister à la séance suivante. Hélas, mon T.G.V. ne m'attendrait pas - ces trains sont si peu sensibles à la détresse humaine ! - et je devrais ne rentrer que demain. Et moi, enfant sérieuse forcée de découcher, pourrais-je réellement persuader mes parents qu'après une laborieuse journée à la fac, sage et éprouvante ainsi qu'elles le sont à l'accoutumée, je suis rentrée tout droit à la maison comme doit obligatoirement le faire, et l'a d'ailleurs toujours fait, la brave petite étudiante qu'ils connaissent depuis son enfance ?
Non, bien entendu ! Mais, j'avais absolument besoin de le voir, ce film, moi ! Alors...
Et puis, de toutes façons, c'est trop injuste ! En province, nous ne pouvons voir un film que lors de sa sortie. Pour le revoir, si le besoin s'en fait sentir (et n'est-ce pas normal, lorsque le film est si beau ?), il est indispensable de s'armer de beaucoup de patience, d'un peu d'espoir, et puis, d'attendre. D'attendre en croisant les doigts qu'il passe à la télévision...
D'où : séché la fac, une heure et demie de T.G.V., la gare de Lyon, le métro, stations Châtelet puis Saint-Michel, un vieux cinéma refait à neuf... et voilà : en situation illégale (un bien grand mot, pour un moment si agréable, non ?) pour la première fois de ma carrière scolaire. Mais ça en valait la peine !
Ma patience avait bien mérité cette récompense, elle qui s'était vue punie parce que le soir de la retransmission attendue, il y avait sur une autre chaîne une quelconque émission de variété et que mes parents (Franco Zefirelli, qui c'est ?) n'ont même pas envisagé d'écouter mes raisons.
C'est pourquoi, l'obéissance et les règlements, il a bien fallu qu'elle les oublie, la gentille petite Martine, dites, vous le comprenez ?
Par chance, je suis à l'heure et le train m'emporte sans se préoccuper de mes remords éventuels - seulement éventuels -. Je suis confortablement installée dans le sens de la marche, pelotonnée contre la vitre, avec mon casque sur la tête. Mon baladeur est, comme moi, tout empli de la musique de Puccini que j'étais allée, avant de partir, me procurer à la FNAC, prévoyant le plaisir que j'aurais à prolonger ainsi ces instants de pur bonheur.
La gare, la consigne, mon sac, mon solex (car j'ai la veine d'en posséder un vrai, un très vieux) et j'arrive chez moi juste avant le repas du soir, comme si j'avais travaillé chez une copine. Ouf ! je vais finir par mourir d'une crise cardiaque, moi, si je renouvelle trop souvent ce genre d'émotion.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 14:18

La suite demain ? bea
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 14:32

Vi !
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 14:55

Ah on aime les suites en petits bouts!

A demain!
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 15:03

C'est l'esprit et le principe des feuilletons. Sans eux, Alexandre du Mât et ses confrères ne seraient pas grand chose. som
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 16:49

Alpero intitule son texte : " Journal d'une jeune provinciale sérieuse"

On en trouve encore ?
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 17:34

c'est le sujet de l'histoire... et ça se passe au moins il y a une quinzaine d'années, puisque il s'agit du journal de la maman.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 18:05

Goupil te taquinait juste un peu : )
C'est son style d'humour il faudra t'y habituer : ))

A demain pour la suite.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyVen 26 Sep - 18:13

j'avais compris, je faisais juste un peu de "merchandising" pour appâter le chaland ! Tu vois, on reste dans les bateaux : le chaland qui passe... (quoique ce soit sans doute trop vieux pour toi, Cotine, qui es si jeune).
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptySam 27 Sep - 0:07

Attention, seconde livraison, début du 1° chapitre. Puis, à suivre...



Chapitre 1




Repas du soir... Papa, petit, rondouillet, le cheveu rare, une moustache à la "Gable", nous donne, à Maman et à moi, une leçon de politique étrangère pendant que nous mangeons la soupe. Cette assiette, pleine de bouillon de légumes et de pain détrempé, est devenue, pour moi, plus un rite qu'un plat, car, depuis le début de mes souvenirs, elle fût sur la table familiale, toujours obligatoire, quelle que soit la saison.

Je connais tellement par cœur ce moment obligé, je l'ai tellement vécu mille et mille fois, qu'il me semble être devenue capable de prévoir, à la seconde près, le moment où le monologue va dévier.

Cela ne manque pas : à peine Papa a-t-il recueilli dans le fond de sa cuiller, en inclinant son assiette, l'ultime trace de soupe, qu'il attaque le sujet phare, celui dont je me demande comment il a pu s'en passer auparavant : la Faculté. Avec un grand F, bien sûr. La Faculté et la chance que j'ai, moi, fille d'ouvriers devenus bureaucrates à force de volonté et de travail, d'y être entrée comme si j'étais née dans une vraie famille bourgeoise. Le pire, c'est que dans tout cela, on ne sent la trace d'aucun guillemet, d'aucune hésitation... J'allais presque oser écrire : "d'aucune autodérision"... mais c'eût été stupide car voilà un terme que l'on ne connaît pas, à la maison.

Maman, le portrait au féminin de son époux, avec cependant la moustache en moins et la chevelure plus fournie (heureusement), avec aussi la poitrine ample et rassurante, pour compenser, je suppose, l'importance du ventre marital, opine, admirative en permanence devant cet homme qui maintenant, revient du travail, le soir, toujours aussi fatigué qu'avant, mais avec les mains blanches.

Soyons franche, elle n'admire pas que Papa.
Sa fierté s'étend jusqu'à moi... Mais avec quelques restrictions : certes, je suis en faculté, et pour elle qui ne lit, dans le texte, que Delly, c'est déjà gigantesque. Cependant je n'y suis, dans son esprit et à son grand regret, que poussée par la volonté inflexible du grand homme, qu'un jour, un grand jour, il y a presque vingt ans, elle épousa.

C'est la seule raison crédible, pour elle, de mon... élévation intellectuelle : je suis une "étudiante" par la volonté de mon père qui, après m'avoir fait naître d'un moule aussi frustre qu'elle-même, m'a contrainte à renaître à l'intelligence. Sachez le, je ne suis pas là grâce à mes capacités (j'allais écrire : mes facultés, mais le jeu de mot eut été malvenu) ni à celles de ma mère. Maman les trouve bien maigres, les unes et les autres. Je ne suis, elle le croit vraiment, arrivée au niveau où elle me voit que parce que je travaille, beaucoup. J'ai le chagrin de penser qu'il s'agit de la seule qualité qu'elle accepte de me reconnaître réellement. Pour elle, je suis une bûcheuse à qui cette capacité de travail tient lieu d'intelligence véritable.

C'est pourquoi, au milieu des grandes phrases sur les "merveilleux" professeurs dont j'ai la chance d'entendre l'enseignement (ma parole, mais il vit encore au dix-neuvième siècle, mon papa chéri !), moi, je décolle. Je voyage, je me laisse emporter par des sensations nouvelles. J'essaie de les analyser pour en profiter au mieux - réflexe d'intellectuelle, ça, attention... -, mais elles sont si légères, si imprécises qu'une étude approfondie m'en est impossible. Je ne puis que les tourner, les retourner dans ma tête en me demandant si les souvenirs qui les ont créées sont bien réels.

Aussi, c'est si bizarre, un souvenir !

Lorsqu'un acte, un fait, est passé, ce qu'il laisse dans l'esprit n'a pas plus de poids que ce qu'a laissé un rêve ou une imagination. Sans preuve tangible, le cerveau se retrouve dans la même obligation, face à ces choses impalpables : forcé de les reconstruire, et cela me fait drôlement peur. Je risque tellement de déformer le peu que j'ai vécu... Il me semble d'ailleurs que c'est déjà fait.

Alors, c'est à ce moment précis, je le pense, que j'ai pris ma décision. Oh ! elle était dans l'air depuis quelques jours, mais le passage à l'acte m'a toujours rebutée, quelle que soit l'action en cause. Je suis une contemplative plutôt qu'une active, moi. Cependant, les faits dont je parle sont, cette fois, d'une telle importance pour moi que j'ai enfin la force de violenter ma nonchalance naturelle (ma paresse), et de sauvegarder sur papier ce qui m'advient. Et puis, Mimi...

Donc, voilà, j'écris. Je viens de reprendre, sur mon bureau, comme si j'étudiais une expérience de physique, le cours des événements qui m'ont amenée là. J'ai quitté assez brusquement la table et le repas, mais mes parents, habituée à me voir plongée soudain dans une réflexion qu'ils respectent (dame, réussite oblige...), m'ont laissée partir et je me retrouve face à un cahier dont j'ai déchiré les premières pages qui ne m'intéressaient plus et dont j'espère que peu à peu il va s'emplir de la trace des immenses bonheurs qui ne peuvent manquer de m'arriver désormais, puisque, comme on a peut-être fini par s'en rendre compte...

Non, même s'il est ridicule et inexistant, je préfère laisser, au début de ce texte, comme un semblant de suspens. Et puis, il y a des mots que je ne me sens pas encore la force d'écrire.

C'est pourquoi, en attendant de dépasser ce stade, je vais m'octroyer un détour par moi-même. C'est cela, commençons par la présentation de l'héroïne :
Je viens de dépasser mes dix-sept ans, c'est à dire que j'en ai pratiquement dix-huit et je me prénomme Martine, ainsi qu'on a déjà pu s'en rendre compte. Blonde, plutôt petite, je mesure exactement un mètre et cinquante six centimètres. Il ne faudrait pourtant pas s'imaginer, parce que je débute en parlant de ma courte taille, que j'en éprouve un quelconque complexe. Non. Je suis assurée, au fond de moi, que j'exprime là une simple constatation dont je pense qu'elle est indispensable, dès l'instant que j'ai entrepris de parler de moi-même.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptySam 27 Sep - 9:02

Une autre époque... et pourtant pas si lointaine... bea
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyDim 28 Sep - 9:25

A demain!
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyDim 28 Sep - 10:00

Désolé, pas le temps ce matin, je pars souhaiter l'anniversaire d'une de mes filles, à demain...
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyLun 29 Sep - 10:52

alpero, nous t'attendons ! bea
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyLun 29 Sep - 12:09

alpero a écrit:
j'avais compris, je faisais juste un peu de "merchandising" pour appâter le chaland ! Tu vois, on reste dans les bateaux : le chaland qui passe... (quoique ce soit sans doute trop vieux pour toi, Cotine, qui es si jeune).

J'aime ton humour, et puis quel talent, pas de souci profite bien de tes filles, nous nous t'attendrons. saint
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyLun 29 Sep - 16:56

re attention, 3° livraison :






Je dois d'ailleurs préciser que mon enfance a été bercée par cet aphorisme rassurant : "plus c'est petit, plus c'est gentil". A l'évidence, cette certitude, acquise de façon toute pavlovienne, m'a sérieusement aidée à me sentir bien dans ma - petite - peau. Pourtant, voyez comme c'est bizarre, cette assurance ne me suffisait certainement pas, puisque j'ai rapidement éprouvé le besoin d'y ajouter : " et plus c'est grand, plus c'est c..!"

Je reconnais l'arbitraire de cet ajout, de même que la mauvaise qualité de sa rime, mais je suis persuadée, encore aujourd'hui, que la vigueur de l'expression y gagnait sérieusement, elle... et mon moral aussi.

En réalité, si j'en souris maintenant, je sais que je me forgeais alors, de cette façon simpliste, des armes pour m'accepter et me faciliter les comparaisons que j'allais être amenée à faire dans la vie de tous les jours. Ce fut heureux, car sur ce plan, rien ne m'a jamais été très facile aux tous débuts de mon adolescence, à ce moment difficile où la femme que vous allez être, physiquement, commence d'apparaître sous le corps potelé de l'enfant. Quand se révèlent les différences qui s'affirmeront ensuite, au fil des années. En effet, c'est un âge où les copines ne se gênent pas pour frapper à l'endroit où leurs coups auront la chance de faire vraiment mal. Elles ne risquent pas de se tromper, n'est-ce pas, puisque c'est à ces endroits là que ça les gratte aussi...

En revanche, je me sais grassouillette, un peu... un peu trop. J'aurais préféré, depuis longtemps, que ma petite taille soit accompagnée d'une silhouette plus déliée, pour que je puisse présenter, aux foules saisies d'admiration, cette apparence vraiment sans défaut à laquelle j'aspire.






Chapitre 2





Je ne cherche pas à me transformer en "sex-symbol". Je possède, simplement, une petite fierté qui ne se laisse pas facilement oublier et me pousse toujours à me présenter, aux regards des autres, sous mon meilleur jour. Bien sûr, la facilité, la négligence et "l'à-peu-près" ont aussi leurs charmes. J'en conviens aisément et c'est la raison pour laquelle j'éprouve parfois la tentation d'y céder en écoutant les avis que me donne si souvent mon "gentil" cousin Francis afin de me permettre, du moins me l'affirme-t-il, d'attirer, plus et mieux, les regards.

De six mois mon cadet, il joue les fier-à-bras parce qu'élève d'un lycée technique, il se croit, plus que moi dans mon université, en contact avec la "matérialité" des choses... (On me pardonnera, je l'espère, la prolifération de guillemets, de tirets et de parenthèses dans ces paragraphes, mais je me promène là dans le vocabulaire de mon cousin et n'y suis pas tout à fait à mon aise.) Ce brave garçon, depuis près d'un an, tente de me persuader de ce qu'il nomme "mes erreurs". Il paraîtrait que mes jugements de valeur sont faussés par la faute de mes études, trop abstraites, qui me font perdre le contact avec la réalité.

Peut-être a-t-il raison...

Malheureusement pour lui, le regard dont il accompagne ses arguments, le sujet exclusif de ceux-ci ainsi que les mots qu'il utilise pour me les présenter, ne me paraissent pas militer en leur faveur. De plus, la vigueur qu'il met à vouloir me convaincre en mimant, en poussant ses mots d'un mouvement de tout le bas de son corps, comme s'il voulait partir à l'assaut du mien pour mieux me faire... toucher (?) la solidité et la valeur des dits arguments me persuaderaient plutôt de ne pas l'écouter.

En effet, je crois que s'il est, "sans doute", sincère, il n'en est pas moins "sûrement" intéressé, et pas par n’importe quoi.

Il a d'ailleurs du mal à dissimuler, sous des phrases creuses et soporifiques, "LA" grande idée, bien précise, qui le pousse à rassurer mon orgueil en m'affirmant que je ne traîne aucun défaut.

D'après lui,, je suis belle, intelligente, fine et bonne. Même si c'est (trop) manifestement excessif, je reconnais que c'est agréable à entendre et j'entonnerais facilement le refrain. Pourtant, je suis retenue sur cette pente dangereuse parce que je vois bien ce qu'il dissimule derrière son sourire niais et sa belle tête boutonneuse, quoiqu'il ose jurer avec un bel aplomb de la pureté de ses intentions. Il est très drôle dans ces moments là et il faut le voir affirmant, la main sur le cœur, qu'il s'en tient absolument au domaine de l'esthétique, presque de l'artistique... Ouais, sans doute comme les photos, "artistiques" elles aussi que j'ai trouvées, un jour, sur le bureau de mon père.

En tous cas, Francis insiste encore sur le caractère esthétique de ses reproches lorsqu'il s'attaque à mes éternels "501" qui dit-il, attirent trop l’attention, des autres, sur mes rondeurs. Sur ce point, peut-être, je pourrais le suivre et faire semblant de croire que seul mon intérêt l'anime, puisque je refuse de me vêtir autrement et n'accepte de ne porter une jupe ou une robe qu'en cas de force majeure, c'est à dire par obligation familiale ou catastrophe nationale, ce qui, dans mon esprit revient à peu près au même. En réalité, j'ai toujours pensé qu'une jupe et des collants, si je leur reconnais une certaine élégance (à moins que ce ne soit à cause de cela ?) ne peuvent être portés que par une femme, une vraie, ce que je suis loin de me sentir dans mon corps. Encore que mon cerveau m'affirme, lui, sans que je pense à le contredire, qu'il est, pour ce qui le concerne, parfaitement adulte.

Je refuse absolument, par exemple et pour revenir à mon cher cousin, de suivre la mode renaissante des minijupes et ça le déprime, le brave Francis, lui qui manifestement rêve de mes jambes et de leur galbe (c'est son mot).

Il n'a jamais pu les revoir autrement que dans ses souvenirs depuis l'anniversaire de mes douze ans, date à laquelle j'ai décidé, sans savoir vraiment pourquoi, à l'époque, que je ne le verrais plus que couverte comme une momie. Malgré les protestations de Maman qui me traitait d'idiote quand elle me voyait me couvrir ainsi en plein été dès qu'il s'annonçait, c'est ce que j'ai réussi à tenir jusqu'à maintenant et j'en suis fière. Je sais, j'ai toujours eu, (et j'ai sans doute encore, non ?) un petit coté excessif...

C'est vrai qu'il affirme hautement son admiration pour la philosophie, la couleur les... tout ce qu'on voudra au sujet de ces "merveilleuses" années soixante-dix.

Qu'il cause, le bel adolescent, je connais, moi, la raison réelle de son lyrisme : nos jambes étaient libres et nues. Or, Francis fait, sur nos extrémités inférieures, une fixation qui crève les yeux et qui confine au fétichisme. Je n'ai rien contre le fétichisme en lui-même, J'ai juste le poil qui se hérisse lorsque il s’agit de mon cousin et que je le sens poser ses yeux ailleurs que sur une portion vêtue de mon corps.

Je l'ai déjà dit, je ne veux pas lui plaire, je n'y peux rien, je pense que c'est physique ! Pourtant, nous avons pratiquement grandi ensemble et je sais bien que dans la tradition, c'est entre cousins que l'on doit découvrir... un tas de choses. Hélas, ce me fût impossible. Il y a un blocage qui m’empêche de le trouver tout à fait sympathique. Je ne réussi même pas à l'aimer simplement bien. Aussi, je me contente de m'être accoutumée à sa présence.

Je donne sans doute l'impression de m'être bien longuement étendue sur un tel sujet, s'il m'intéresse aussi peu que je l'écris, mais il m'a été impossible de me retenir : lorsque le nom de Francis m'est venu sous la plume, je n'ai pu que régler les comptes que je gardais en suspend, à cause de toutes ces journées d'enfance que sa présence m'a gâchées

Ce sujet réglé, même s'il n'a pas grand chose à voir avec mon histoire (quoique...) plantons le décor de mon existence :

J'habite dans ce qu'au Lycée, on appelait, avec un brin d'emphase et d’exagération : une Métropole Régionale.

Je veux bien que ce soit le terme consacré pour le siège d'une préfecture de région, ce qui justifie le seconde partie de l'expression, mais j'affirme que pour la métropole qui, à mon sens, se devrait d'être une ville particulièrement vivante, on est loin du compte.

C'est pourtant ce qui semble le plus satisfaire la solide et calme bourgeoisie par laquelle notre ville est gérée : foin de l'agitation parisienne ! Ne dispose-t-on pas du T.G.V. ou de la voiture si l'on veut aller à Paris pour s'encanailler ? La quiète somnolence de la cité, dans laquelle chacun conserve les repères qu'il a toujours connus, vaut mieux pour ces gens là qu'un progrès effréné dont on ne sait jamais vers où il va, ma pauv'dame...

Alors, tant pis pour les chômeurs et les jeunes ! Ils n'ont qu'à s'expatrier, s'ils veulent du travail. Les bourgeois, eux, en ont ! Et ils pensent que cela va durer, cela leur suffit... avec, bien sûr, leur petit matelas d'argent. De plus, ils peuvent vivre, et ne s'en privent pas, sur les souvenirs de la gloire passée, celle dont s'auréolaient leurs familles aux siècles précédents... quand les bourgeois innovaient et créaient un nouveau monde au lieu de se contenter de maintenir l'ancien. Beuark !

Je suis également une bonne élève qui, après avoir brillamment passé son bac "C" - Qu'on me permette, ici, une digression : je suis consciente de la laideur de l'expression que je viens d'utiliser et sans doute, en tant que bachelière, justement, j'aurais dû éviter d'utiliser cette homophonie par trop monotone. Malheureusement, je n'ai pas été capable d'en trouver une autre. Et puis, il est vrai qu'après de longues hésitations pour déterminer, en accord avec la famille, ce qui m'ouvrirait les plus grandes portes, j'ai opté pour la voie de mathématiques et non celle des lettres, alors... - s'est inscrite en faculté pour la plus grande joie, comme je crois l'avoir déjà dit, de ses parents.

Mes augustes géniteurs sont persuadés de voir bientôt leur fille chérie décrocher, comme dans un soap-opéra, la nuée de diplômes nécessaires à un être humain pour vivre décemment aujourd'hui.

Moi je veux bien...

Je serais même parfaitement heureuse de pouvoir leur donner raison, hélas, je ne possède pas leur belle certitude.

Enfin, l'avenir verra, en même temps que nous, ce qui aura été possible. En attendant ce moment, j'essaye, face à eux, de cohabiter du mieux que je le peux avec, à la fois, eux-mêmes et l'image qu'ils ont de moi afin d'arriver à ce jour béni dans un état acceptable. Mais mon Dieu, que ce n'est pas toujours facile !

Et pourtant, s'ils savaient, Papa-maman, comme ils prennent de la place dans mes pensées, ces jours-ci ! Heureusement, ils ne le peuvent pas, parce qu'alors, il faudrait qu'ils en aient deviné les raisons et ça ne me plairait pas vraiment. Oh ! je n'ai rien de catastrophique ni de particulièrement honteux à leur dissimuler. Je pense même qu'ils ne sont pas
suffisamment loin de leur adolescence pour ne pas comprendre ou ne pas deviner si l'idée de chercher leur venait. Non, je crois simplement, pour l'avoir déjà constaté en de nombreuses occasions, qu'on ne s'attend jamais aux complications qui nous menacent. Elles paraissent toujours à des centaines de kilomètres de soi, surtout quand elles se rapprochent.

Et puis aussi, pour moi, ce n'est pas vraiment, voire pas du tout, une catastrophe, quoique sans doute c'est ainsi que les parents verraient la situation, eux, s'ils savaient.

En fait, peut-être commences-je tout bêtement à me lasser de leur faire plaisir en poursuivant de façon satisfaisante, des études qui me barbent et auxquelles je ne crois plus.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyMar 30 Sep - 10:24

Avant d'aller plus loin, je voudrais juste savoir si l'intérêt vous paraît suffisant pour que je continue après l'exposition ?
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyMar 30 Sep - 11:00

Mais bien sûr que oui ! Veux tu bien entrer dans le vif du sujet non mais ! boff
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyMar 30 Sep - 11:51

là, c'est la quatrième livraison de cet interminable feuilleton.


Chapitre 3




Je ne suis pas certaine que la suite possède un lien avec ce qui précède, bien que je le craigne un peu.

En réalité, je fais seulement semblant de ne pas le savoir, j'en suis consciente. Cela me permet de ne pas me sentir coupable envers mes parents, car c'est une situation qui me serait très désagréable... Pourtant, après toutes ces tergiversations, il est peut-être temps pour me conserver une petite estime de moi (l’ai-je encore ?) et un peu d’intérêt de la part d’un hypothétique lecteur, que je parle enfin de ce qui me préoccupe et justifie mon activité littéraire.

Alors, voilà : c’est d'une importance bien plus grande que tout ce que j'ai déjà dit, je suis amoureuse ! C'est à dire.., pour parler plus exactement.., je le crois. Il me semble tout de même que c'est bien de cela qu'il s'agit, mais je me demande si je dois m'en sentir heureuse ou paniquée.

Parce qu'enfin, je manque d'éléments de réelle comparaison pour décider s'il s'agit bien de la grande secousse et pour envisager les conséquences, agréables ou non, que l'événement peut engendrer.

Les petits flirts de collège sont très agréables, c'est vrai, mais aussi frustrant puisque, je l’ai toujours su au fond de moi, il ne s’agit que d'une simple répétition pendant laquelle je n’ai rien appris de ce que seront les rapports de couple dans la réalité.

D'autant que nous développons, nous les futurs adultes, pendant notre vie scolaire et notre adolescence, toute une série de codes qui dépendent entièrement de nos expériences et du cadre étroit où elles se sont déroulées. Je serais fort surprise que cet ensemble de codes, de circonstances et d'environnement soit suffisamment proche de ce que vivent les adultes pour faire office de référence valable.

Donc, je suis amoureuse. Et c'est vrai que ça occupe ! Dans le fond, je ne suis pas vraiment étonnée de ne garder en moi que si peu de place pour mes études. Si je ne m'en rendais pas compte jusqu'à présent, je le constate maintenant que je suis amenée à m'analyser : j'y pense en permanence, à cet amour. Alors forcément, il me reste du temps pour beaucoup moins de travail que je n'étais habituée à en fournir. Par chance, c'est cela qui n'est pas encore sensible pour mes parents.

Et oui, c'est l'un des avantages de la fac, ça : pas de carnet de notes, pas de carnet de correspondance, pas de mot à la famille... rien. La LIBERTÉ quoi ! Mais avec des tas de dangers et de pièges autour. Et moi, je suis en train de tomber dedans. Oh, je ne crois pas que tout va s'écrouler mais je me sais sur la corde raide depuis un mois et je ne peux pas empêcher d'avoir peur, un peu.

Je l’écrivais tout à l'heure, on ne s'attend jamais tout à fait à ce qui va nous tomber sur la tête et je ne suis pas différente des autres. C'est sans doute pour cela qu'après mon éveil à la réalité, ma surprise fut si totale.

J'avais encore, dans ces jours qui me paraissent si anciens, la foi dans ce que je faisais. Je passais la majeure partie de mes instants à travailler. Toujours, je cherchais une plus grande efficacité dans mon travail tellement je voulais réussir. Cette recherche m'avait amenée à découvrir que mon cerveau fonctionne mieux dans la confrontation et la discussion. Il est alors bien plus efficace que dans la solitude, lorsque je m'adonne à ces joies saines et sérieuses de la concentration intellectuelle à tendance monacale que nous incitent tant à cultiver nos chers professeurs. C'est pourquoi j'ai souvent besoin d'aller chez l'un ou l'autre de mes condisciples pour bosser.

Depuis quatre semaines, j'avais créé une équipe de ce genre avec une fille dont je ne sais pas pourquoi je ne lui avais pas encore adressé la parole depuis le début de l'année universitaire. Elle avait pourtant attiré mon attention à chaque fois que je l'avais croisée dans les couloirs et les amphis parce qu'elle paraissait suffisamment sympa et intelligente pour que je puisse en faire une amie. Je lui avais apparemment inspiré des pensées identiques, puisque nous étions trouvées, enfin, à nous dire cette même chose en même temps. La similitude du moment et des mots m'avait incitée à lui proposer ma méthode de travail. L'idée lui paraissant bonne, j'étais allée, comme je le faisais depuis le début de l'année avec d'autres, travailler chez elle, avec elle, pleine de confiance en la vie, en moi, en elle.

Hélas, bien qu'un peu plus âgée que moi, Danielle dont les goûts vestimentaires à l'opposé des miens, la conduisent à porter surtout des capelines à voilettes et des tailleurs d'inspiration Chanel (ce que je trouve ridicule pour une jeune fille de notre génération, je crois l'avoir déjà dit, et puis d'abord, ça la vieillit énormément !) ne vit pas seule : le logement qu'elle habite appartient de façon très logique à son père.

Ils y logent ensemble et j'aurais dû m'y attendre, même si je n'y avais pas songé à l'époque, habituée que j'étais à considérer les parents des autres avec le même manque d'intérêt que je porte aux miens.

Nous étions ce soir là en pleine activité lorsque la porte du bureau de Danielle s'est ouverte sur un monsieur pas très beau ni très jeune. Il m'a saluée très poliment et je lui ai poliment répondu en lui adressant un petit sourire que j'ai accompagné d'un mouvement de tête discret. Cependant, au fond de moi, je souhaitais le voir partir bientôt pour que, débarrassées enfin de cet intrus, nous puissions reprendre rapidement notre travail, sa fille et moi. Malgré cela, il n'est pas parti et je me suis retrouvée comme Claudine à Paris, lorsqu'elle fait la découverte de son "cousin l'oncle".

J'ai vu, alors, la fille et le père échanger quelques plaisanteries sur un ton que jamais mes parents ne penseraient utiliser pour s'adresser à moi. Dés lors, mon monde s'est transformé.

Danielle, qu'à cause de son style vestimentaire sans doute, j'imaginais coincée, s'est prêtée au jeu et a participé à la joute verbale comme si, en face d'elle, se trouvait non son père ni même un copain mais un ami très cher dont on pouvait comprendre tout de suite qu'elle l'aimait tendrement.

Jusque là, et même à présent, une telle tendresse dans les relations à l'intérieur de la famille me semblait impossible. Au mieux, surprenante. Je la trouvais, comme je crois la trouver encore, presque amorale. Je suis restée toute bête, interdite vraiment, à peu près autant et quasi de la même façon que je l'avais été lorsque Francis, pour me persuader de la justesse de ses raisonnements, m'avait projeté un film... enfin, bon.

D'autant que, dans le même instant, s'est installée en moi la certitude, teintée d'un regret dont je me suis trouvée presque gênée, que malgré toute la bonne volonté dont je pourrais essayer de faire preuve, si par hasard l'envie me venait de connaître une existence de ce genre, il me serait impossible de jamais la vivre avec mon propre père. Non pas qu'il puisse en faire une question de principe, mais par suite d'un manque de
compréhension réciproque, d'un manque d'intérêt de sa part pour ce que je puis être réellement.

Cela, je le savais, bien sûr, mais l'évidence ne m'était pas encore apparue avec une telle force. Alors brusquement, là, j'ai eu très mal.

La séance de travail ne reprit pas ce soir-là. Ils étaient si proches l'un de l'autre que je rassemblai mes affaires et les quittai presque timidement, me contentant simplement de murmurer mon au revoir, pour ne pas les déranger.

Ce fût la première rencontre. Elle ne fût que cela mais ne me laissa pas une bonne impression, au contraire.

Deux jours après je le revis quand il vint chercher sa fille à la fac. Comme nous sortions ensemble, il me proposa de me reconduire chez moi. Bien sûr, au souvenir de la soirée précédente, j'aurais dû refuser. Pourtant, et quoique j'étais persuadée de ne pas le vouloir vraiment, de ne pas en avoir besoin puisque mon trajet est très court, j'ai accepté.

C'est vrai, le trajet se passa réellement vite. Il m'a cependant laissé le temps nécessaire pour mieux comprendre comment ces deux-là pouvaient être ce qu'ils sont l'un pour l'autre. J’ai cru même, un instant, deviner ce qu'ils cachaient derrière leurs apparences, derrière ces masques de nonchalance et de pseudo-camaraderie qu'ils affichaient. J'ai presque cru apercevoir de façon tangible ce que doit vraiment être l'amour familial, lorsque le cœur n'est pas étouffé par les habitudes et le conformisme. Par la même occasion, j'ai à nouveau senti pourquoi, hélas, cela n'arriverait jamais dans ma famille.

Pour comble de tristesse, comme s'il était nécessaire d'augmenter ma frustration d'enfant qui découvre qu'elle a toujours attendu une autre façon d'exprimer l'amour et la tendresse avec ses parents, ce fût mon père à moi qui m'accueillit ce soir là à la porte de chez nous.

Le passage brutal de l'un à l'autre de ces deux adultes si différents me fut fatal comme me l'aurait été un violent chaud et froid.

J'ai, depuis ce choc douloureux qui me rend encore plus pénible la vie quotidienne au sein de ma famille, soigneusement évité de revoir le père ou la fille. Bien sûr, Danielle se demande, je le vois, pourquoi je refuse désormais de revenir chez elle. Heureusement, elle ne me pose pas la question et j'en suis satisfaite, car je ne pourrais pas lui répondre avec sincérité, tellement les choses que j'ai dans mon cœur sont confuses et bizarres.

Je me ridiculiserais, c'est certain, à vouloir les traduire avec des mots dont j'ignore si ceux qui me viennent à l'esprit sont bien ceux qu'il faudrait utiliser pour expliquer avec clarté cet étrange tourbillon, ce chaudron de sorcière qui bouillonne en moi et qui me trouble tant.
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyMar 30 Sep - 11:59

C'est beau quand la complicité existe entre parents et enfants, ce je ne sais quoi qui fait qu'on se comprend à demi-mot...
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyMar 30 Sep - 12:09

Premier vrai émoi et confusion, c'est vrai que voici deux hommes bien différents dans leur rôle paternel. Mais je sens venir autre chose, un émoi qui me touche. Mais je dois me tromper. bea
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyJeu 2 Oct - 10:20

C'est long ... saint
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyJeu 2 Oct - 10:27

normal, j'étais pas chez mouah, mais ça vient .
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyJeu 2 Oct - 10:48

Cinquième livraison, mais c'est long parce que tous mes formatages disparaissent au copier/coller et que je dois tout reprendre. Désolé.


Chapitre 4




L'antiquité le savait, qui l'avait déifié, son destin personnel, le "fatum", est l'une de ces forces contre lesquelles il est inutile de lutter, sous peine de perdre dans ce combat sa volonté, sa logique et sans doute un peu de sa confiance en la justice, qu'elle soit humaine ou divine.

Ces blessures, pour désagréables qu'elles soient, ne sont pas les plus grands risques auxquels on s'expose en se rebellant de cette façon. Je le savais mais je l'avais tout de même oublié quand, en cherchant à l'esquiver, j'ai cru pouvoir me débarrasser d'une inquiétude diffuse bien que déjà trop précise.

Évidemment, j'avais deviné très vite l'origine et les raisons de ma gène, mais je m'imaginais assez forte pour résister à ce qui m'apparaissait comme une broutille. J'étais sûre qu'il me suffirait de simplement m'éloigner.

Le père de Danielle, à son âge et avec son allure si différente de celle des garçons que je fréquente d'habitude, me semblait, en fait, plus capable de simplement me tracasser en me causant une interrogation idiote que de m'inspirer un attachement profond. Pourtant, malgré cette assurance béate d'avoir fait ce qu'il fallait pour assurer ma tranquillité, je me suis trouvée brutalement replacée malgré moi, face à cette "inquiétude" dont il était le responsable. Ce fût réalisé avec promptitude et sans que je puisse rien faire pour l'éviter, d'une façon qui me fût presque aussi désagréable, à cet instant, qu'une rage de dents.

En bref, ce matin là, sur le chemin de la faculté, juste au dernier feu rouge avant l'entrée du campus, j'ai été surprise par un coup de Klaxon. Dans un premier temps, je n'avais aucune raison de penser que cette façon cavalière d'attirer l'attention s'adressait à moi, c'est pourquoi j'ai continué à traverser l'avenue comme si de rien n'était.

Klaxon derechef et impératif, celui-ci.

J'ai compris confusément que je pouvais bien être, malgré tout, la cible d'un conducteur sans éducation. Alors je me suis retournée, énervée et prête à fusiller l'importun de la façon qui m'est habituelle dans ces cas là. Pourtant, cette fois-ci, je me suis retrouvée silencieuse, stupide et pétrifiée, à regarder le coupable comme si je ne l'avais pas reconnu.

- Martine ?

J'étais toujours aussi muette.

- C'est bien votre nom, il me semble ?
- Oui.

C'était court et idiot. Pourtant j'étais strictement incapable de lui en dire plus sans qu'on me souffle mes mots. D'ailleurs, nous étions déjà rencontrés, alors mon prénom, qu'il le connaisse, ça me paraissait normal. Et puis, soudain, une bouffée de chaleur m'est venue au visage et au cœur, tellement forte que je suis encore surprise de ne pas avoir vue toute la ville rougir en même temps que moi : sa fille et moi, sans que je sache vraiment pourquoi, peut-être à cause du caractère tardif de notre amitié venue après que des habitudes se soient déjà installées, ne nous étions jamais appelées que par nos noms de famille. Il avait donc fallu qu'il se renseigne auprès d'elle.

La bouffée de chaleur est devenue un feu brûlant. Mon pull rouge a dû paraître brusquement plus pâle et les bonnets de mon soutien-gorge, dont la taille modeste m'est en permanence un sujet de lamentation, ont failli éclater tellement mon cœur a gonflé dans ma poitrine. Heureusement le feu, à ce moment, a changé de couleur aussi radicalement et presque aussi violemment que moi. Je dus donc, très vite, sauter jusqu'au trottoir pour éviter la ruée des automobilistes sauvages. C'est ce qui, j'en suis satisfaite, a permis que restassent discrètes mes multiples variations de teintes et de température.

Le temps qu'il se gare un peu n'importe comment, (bizarrement, j'ai été heureuse de remarquer sa maladresse et sa précipitation, d'où nouveau rouge au joues) et nous nous sommes retrouvés côte à côte. Plus près, même car à sa descente de voiture, il m'a immédiatement prise par le coude, me collant contre lui et m'a entraînée sans me demander mon avis ni me laisser le temps de l'exprimer, tout en annonçant, comme si j'étais obligatoirement d'accord :

- Je vous offre un café !

Même pas une nuance d'interrogation dans ce début d'une originalité à faire hurler. Non mais, pour qui se prenait-il ce vieux là ? Je l'ai vertement repris en lui montrant bien mon indignation. Pourtant, je me souviens qu'en même temps, j'ai fait sans y penser, onduler mes cheveux d'un mouvement dont je sais parfaitement qu'il intéresse, en général, l'élément mâle des amis de mes parents... et qu'il énerve fortement ce pauvre Francis lorsque, par inadvertance, je joue à cela devant lui.

- Et mes cours, vous les oubliez, peut-être ?

- D'après ma fille, depuis quelques jours, c'est plutôt vous qui semblez ne pas y penser beaucoup, non ?

- Et de quoi se mêle-t-elle, s'il vous plaît, votre fille, dites, pour vous raconter ma vie, hein ? D'ailleurs nous ne nous parlons plus !

- Je le sais. Elle le regrette. Moi aussi.

Alors là, je sais bien que j'étais en train de tout gâcher, en admettant qu'il y ait eu quelque chose qui puisse courir ce risque, mais je me suis emportée sans même penser à me préoccuper de l'image que je donnais :

- Parce que vous croyez apparemment, l'un comme l'autre, que vos regrets m'intéressent ? Mais, j'ai d'autres préoccupations dans la vie, moi, et des tas !
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MessageSujet: Re: Journal d’une jeune provinciale sérieuse.   Journal d’une jeune provinciale sérieuse. EmptyJeu 2 Oct - 11:00

6eme envoi, le chapitre n'a pas voulu partir d'un seul coup.

Mens donc, ma petite, mens ! Comme si j'avais pu réussir à penser à autre chose qu'à lui, depuis que j'étais allée chez eux. Je devais être si convaincante qu'il a repris, presque mot pour mot, la phrase que je venais de prononcer dans ma tête, à croire qu'il l'avait entendue :

- Mais nous, Martine, depuis que vous êtes venue chez nous, nous n'avons pas cessé d'y penser, à vous.
- Je vous remercie et je vous trouve bien bon, tous les deux. Pourtant, je me demande pourquoi j'occupe tant de place dans vos esprits ?
- Bon, alors, puisque que vous paraissez enfin intéressée par quelque chose qui vient de nous, on s'assied tous les deux devant un café et de cette explication, on en parle. Ça nous évitera de perdre du temps. D'accord ?

C'est comme ça qu'on se fait avoir ! Je me suis donc laissée faire... Et puis, j'en avais tellement envie ! Mais je n'allais tout de même pas tomber à son cou. Non, ne pas compter la dessus, Monsieur ! S'il me voulait (et là, je flottais en pleine incertitude : était-ce vraiment imaginable ?) il allait devoir me gagner. Même, ou plutôt si, comme je venais de m'en rendre compte, le travail était en réalité bien avancé.

A la brasserie, la guerre s'est poursuivie.

Tout d'abord, j'ai manifestement boudé. J'ai protégé mon corps comme s'il était menacé. J'avais piqué à ma grand-mère, deux mois avant, un porte document qui fait vraiment très chic, tellement elle l'a soigné et ciré. On le croirait sorti de chez un sellier respectueux des traditions où il aurait été réalisé à la main. en fait, Mamie m'a avoué une origine beaucoup plus modeste, Prisunic ou Carrefour, enfin, quelque chose de ce genre. Je m'en suis servi comme d'un bouclier que je tenais, solide et inviolable, étroitement serré contre moi et à l'abri duquel je suivais chacun des mouvements de l'adv... de mon compagnon.

Ensuite, j'ai absolument refusé son café. Discuter avec lui, d'accord, mais me laisser acheter, pas question ! Une peste, voilà ce que je fus. Une peste qui se regardait agir et qui s'étonnait de la facilité avec laquelle elle réussissait à saccager tout ce à quoi elle tenait. Je le savais bien qu'en réalité je niais l'unique pensée, l'unique rêve, l'unique espoir dont ait été occupée ma vie ce dernier mois.

Et lui, il souriait... Il m'a avancé une chaise, en souriant. Il a commandé un café pour lui tout seul, en souriant. Et surtout, surtout, je l'ai vu s'apprêter à m'écouter, en souriant toujours.

- Oh, et puis, vous m'agacez à sourire tout le temps comme ça ! Vous vous moquez de moi, dites ?
- C'est vraiment l'impression que vous avez au fond de vous, Martine ? Est-ce vraiment tout ce à quoi vous attendez de ma part ? Vous savez, Danielle et moi...
- Mais je m'en moque, moi, de Danielle. C'est pas elle qui est en face de moi, c'est vous ! C'est pas elle qui est venue me provoquer à l'entrée de la fac, c'est vous ! Elle, elle rase les murs, quand elle me voit. Même pas le courage de me dire pourquoi, même pas le courage de me demander pourquoi..?
- Et bien justement, je suis là pour ça, aujourd'hui, moi. Et c'est vous qui trouvez des mots pour retarder cette explication. Je suis justement venu vous demander pourquoi vous nous fuyez tous les deux. Car je le confirme, nous avons vraiment l'impression d'être tous les deux dans le coup.
- Je...

Et je me suis écroulée en sanglots. Évidemment que je les fuyais.

Évidemment que je les fuyais tous les deux ! Mais enfin, je ne pouvais pas dire à ma copine : "je craque devant ton père". Je ne pouvais pas ajouter : "Je t'en veux de ne pas m'avoir prévenue que ça m'arriverait rien qu'en le
voyant". Et, pouvais-je préciser : "je t'en veux surtout d'être aussi tendre avec lui alors que je devrais être la seule à posséder ce droit là" ?

Non, ce n'était pas possible, pas plus que ça ne l'était devenu, uniquement parce que je me trouvais devant lui au lieu de l'avoir, elle, en face de moi. Oh, la vie est trop dure, je n'aurais jamais du m'intéresser à autre chose qu'à mes chères études.

Maman, je veux rentrer à la maison !

Pendant ce temps, lui, toujours souriant, attendait en s'allumant une cigarette que mes vannes se ferment et que je retrouve la force de parler. J'avais conscience de cela au milieu de mes larmes et c'est sans doute ce qui m'a le plus aidé à les stopper d'un seul coup. J'ai redressé la tête, je l'ai regardé bien en face et, courageusement j'ai entamé l'aveu... d'une demie vérité.

- J'ai honte, c'est vrai, parce que je sais bien que vous ne méritez ni l'un ni l'autre ma méchanceté. Simplement, je n'ai pas pu supporter votre intimité, votre complicité, alors que mon père est si distant avec moi.

Il a pris ma réponse comme un coup de poing à l'estomac et je l'ai presque vu reculer sous le choc. C'était le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire. Ainsi, il attendait vraiment une autre réponse. Eh bien, ça allait être à lui de se montrer courageux. Il le pouvait et n'a certainement pas imaginé le plaisir qu'il m'a fait en se ressaisissant immédiatement pour me répondre avec calme :

- Vous savez, mon petit, il ne faut pas en vouloir à vos parents, pas plus qu'à nous si nous sommes différents. C'est à vous d'accepter ceux qui vous entourent et qui vous aiment comme ils sont. C'est à vous de vous adapter à eux, ils sont la majorité.

"Mon petit", à moi ? Attendez, mon "grand", vous allez me le payer, celui-là.

- D'où vient cette majorité qui fait drôlement débat politique ? Me faudrait-il comprendre que vous m'aimez autant que mes parents, vous et Danielle ?

Il a de la maîtrise, d'accord, mais là, la question est tout de même un peu directe et l'affirmative est difficile à justifier de façon neutre pour quelqu'un qui ne me connaît que depuis si peu de temps, alors, il n'a pu s'empêcher de bafouiller un peu et moi de jubiler.

- Mais, je, nous... Enfin, on vous aime chacun à notre manière, suivant les circonstances, les moments, les degrés de la connaissance que nous avons de ce que vous êtes. Souvenez vous que l'amitié et l'amour ont même racine latine. N'éprouveriez vous donc pas, de votre coté, de l'amitié pour ma fille et moi ?

Pédant, va ! Pfu, racine latine, racine latine, ça n'a rien à voir avec le reste, ça ! Mais en attendant, il m'avait renvoyé la balle, et là, attention, terrain miné, danger. Achtung ! Verboten s'aventurer sans protection. E periccoloso approfondir la question. Je n'ai pas préparé les esquives nécessaires et les glissades sont bien rapides, lorsqu'on a tellement envie de dire ce qu'il ne faudrait pas. J'ai donc accepté de signer l'armistice, mais sans abandonner mon agressivité tout de même. Il faut ce qu'il faut.

- Bon, alors, vous me le commandez, ce café ?

Il a eu la prudence de ne pas sourire, cette fois, et s'est exécuté. Je n'ai fait aucune remarque sur ce fait et j'ai même réussi à avaler mon breuvage sans faire la grimace. Pourtant, je l'ai bu sans sucre, parce que, trop émue, j'avais oublié d'en mettre dans la tasse... et il m'a parût aussi bon que d'habitude. Beuark, quand j'y pense, j'en ai mal au cœur. Moi qui, d'ordinaire, ai besoin d'au moins trois morceaux... Et bien là, je n'ai pas cillé. Je le regardais comme s'il était David Bowie, Michael Jagger et Harrison Ford réunis. Je le buvais des yeux, je le dévorais pendant qu'il me racontait pourquoi il s'était retrouvé seul avec sa fille, cinq années auparavant et comment, confrontés tous deux à une situation inattendue, ils avaient peu à peu inventé ce type de relation que je leur enviais si fort et qui me donnait particulièrement envie de m'y glisser par effraction.

- Et ça vous a fait vraiment mal, lorsque votre épouse (ne pas utiliser le terme de "femme" surtout. Je ne sais pourquoi, l'intimité chaleureuse qu'il suggère me gênait, en cet instant.) vous a quittés pour vivre avec votre voisin ?

D'accord, la question est aussi vache qu'indiscrète, mais je l'ai posée sans remords, parce que je découvrais de nombreux points sur lesquels j'avais absolument besoin de savoir où il en était... et que je me découvrais, en même temps, jalouse comme je n'aurais jamais supporté de m'imaginer, avant. Il m'a regardée fixement pendant un gros paquet de secondes. A l'évidence, il se demandait si j'étais aussi innocente et désintéressée que mes yeux clairs me faisaient paraître.

- Ce fut très difficile à supporter, au départ, mais on s'habitue assez facilement à la solitude et Danièle m'a bien aidé, pour les tâches ménagères.

Coincée. Il m'avait coincée. Sa réponse voulait tout dire sans que je puisse vraiment être sûre de rien. Oh, la vie s'annonçait dure, avec lui, si, en plus de me plaire comme il me plaisait, il se révélait aussi fin et intelligent que cela. Pourvu, au moins, que je ne me retrouve pas rapidement en état d'infériorité !

Cela, je n'y ai jamais été habituée. Je suis assez fière de me sentir intellectuellement supérieure à mes parents. Je le sais, c'est laid, mais ça a toujours été ma meilleure façon de me défendre face à eux, puisque leur autorité sur moi n'a jamais connu de limites, à cause d'une autre prétendue supériorité que l'âge, l'expérience et les traditions leur aurait permis de posséder. J'ai tant passé mon enfance et la majeure partie de mon adolescence à m'entendre dire par mes pères et mère : "décidément, ma
pauvre, tu n'es bonne à rien, tu ne comprends rien, tu n'écoutes rien !" que j'ai fini par être, avec eux, comme ils me voyaient. Bien entendu, la raison principale de cette attitude n'était pas une vraie stupidité, comme je le leur laissait croire, enfin je l'espère, mais bien plus la lassitude et l'orgueil blessé.

C'est ainsi que mes réussites scolaires ne pouvant pas, dès lors, provenir de ma seule intelligence, mes parents en sont arrivés à se dire, pour s'expliquer ces succès tout en se consolant de les croire immérités, puis à le répéter à leurs amis pour les en convaincre et se rehausser à leurs yeux : "Martine n'est pas très intelligente, mais elle est travailleuse pour deux. C'est cela qui lui permet de rester au niveau de ses camarades plus douées."

Tu parles ! Pendant ce temps, c'est sur moi que mes vraies copines sont toujours tombées pour les aider quand elles avaient des difficultés. Oui, toutes ces camarades plus douées que moi, et ce, pendant toute ma scolarité. Enfin, jusqu'à il y a un mois, bien sûr.

En attendant, il avait marqué un point, mon amour adulte et il s'en était rendu compte en me voyant accuser le coup à mon tour. Derechef, il s'était remis à sourire, faisant renaître ma hargne pour de bon.

- Vous vous croyez drôle ? Moi, ça ne m'amuse pas, de vous voir vous moquer de moi !
- Ma pauvre Martine, vous devez en avoir, des problèmes, pour vous montrer si naturellement agressive...
- Ah, c'est ce que vous croyez... Eh bien, de toutes façons, ça ne vous regarde pas !

Et cette fois, j'avais refusé tout retour en arrière. Trop heureuse d'avoir trouvé quelque chose de définitif qui me permette de me dégager sans que mon départ ne me ridiculise vraiment, qu'il ne montre à l'évidence ce qu'au contraire il devait cacher : une nouvelle fuite inspirée par la faiblesse que je ressentais devant lui. Alors, j'avais attrapé mon sac à main en même temps que mon porte-documents et je m'étais esquivée sans lui laisser le temps de simplement esquisser un geste pour me retenir.
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