Le bateau ivre
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 Souvenirs

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Puce34
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Puce34


Nombre de messages : 161
Date d'inscription : 02/01/2007

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MessageSujet: Souvenirs   Souvenirs EmptyMer 3 Jan - 17:30

"Ecrit il y a déjà 2 ans pour un concours sur un forum fermé depuis."

Les rideaux sont tirés, la veilleuse dessine des ombres chinoises au mur. Elle se glisse dans les draps frais songeant à la journée qui vient de s'écouler. La fenêtre entrouverte lui amène les bruits étranges de la nuit : le coassement des grenouilles, un aboiement de chien au loin, les grattements des animaux nocturnes dans le jardin.
Elle est là, dans ce grand lit, dans cette chambre où elle avait connu tant de bonheur.
Elle se rappelle les frayeurs nocturnes de son enfance quand elle entendait le parquet grincer.
Les vieilles maisons sont pleines de bruits étranges la nuit. Alors elle se cachait sous l'édredon de plumes d'oies jusqu'à ce que le ronflement sonore de son grand-père la rassure.
Les souvenirs remontent à la surface : les batailles de polochons avec les cousins, qui même si ils étaient plus âgés qu'elle, ne se lassaient jamais de ce jeu. Les confidences chuchotées à voix basse avec Marielle, son amie de toujours : que de secrets échangés, cachées sous les draps de lin.
Et cette fois, où elle est montée au grenier pour essayer de surprendre la chouette effraie.
Munie d'une lampe torche qu'elle cachait sous son oreiller, elle gravissait ,pieds nus, les marches de l'escalier veillant à ne pas les faire craquer, à la fois pour ne pas réveiller ses grands-parents mais aussi pour ne pas faire fuir la chouette.
Quelle déception ! Elle avait attendu jusqu'au petit jour, cachée derrière un vieux coffre en bois, mais la chouette n'était pas venue. Alors elle s'était endormie là. Seule sa grand-mère eut l'idée de venir la chercher là. Elle avait entendu les petits pas qui montaient dans la nuit. C'est bien connu, les personnes âgées ont le sommeil léger !
Le vent soulève les rideaux, elle se lève, va à la fenêtre et contemple la lune qui se reflète dans le ruisseau.
Elle n'a pas sommeil, trop de pensées lui viennent à l'esprit.
Elle enfile ses chaussons et descend à la cuisine. Un lait chaud l'aidera peut être à trouver le sommeil qui ne vient pas.
La cuisine d'où montaient le matin les odeurs de chocolat et de pain chaud.
Là, les casseroles de cuivre accrochées au dessus de la cuisinière, ici les bocaux d'épices dont Grand-mère parfumait ses plats.
Elle n'allume pas, la pleine lune éclaire suffisamment la pièce.
Sa tasse à la main, elle se love dans le fauteuil à bascule où les derniers temps, Grand-mère se reposait pendant que le monde s'agitait autour d'elle. Ses lunettes sont restées dans sa corbeille à ouvrage. Le plaid garde l'odeur de pain d'épice qui émanait de sa Grand-mère.
Elle se souvient des leçons révisées sur le coin de la table en bois, pendant que le repas mijotait. Les tartines de bon pain avec du miel ou de la confiture, cela dépendait de la saison.
Elle n'arrive pas à rester en place, se lève, ouvre la porte et fait quelques pas dans le jardin.
L'herbe est humide, le chat vient de frotter contre ses jambes. Que va-t-il devenir ?
Encore un problème à résoudre. On n'imagine jamais assez les soucis quand un être cher s'en va. Un frisson la fait revenir à la réalité. Elle se tourne et contemple à nouveau cette bâtisse.
C'est une maison en pierres, couverte de lierre. Une de ces maisons de cartes postales.
Il va lui en falloir du courage pour vendre les meubles, la maison, vendre son enfance.
Elle rentre, monte à l'étage et se glisse à nouveau sous les draps.
Là, sur la table de nuit, il y a le vieil album photo. Elle le prend et le feuillette.
Ici ses grands-parents, jeunes mariés, là son père nouveau-né, puis sa tante jeune communiante.
Tous les souvenirs sont rassemblés sur ces photos jaunies par le temps.
Elle sent les larmes monter mais ne fait rien pour les retenir. Il faut que la peine qu'elle ressent s'exprime.
Depuis trois jours, depuis ce coup de téléphone lui annonçant que sa grand-mère est partie, elle n'a pas pu pleurer.
Il y avait tant à faire : organiser les obsèques, prévenir les cousins.

Même ce matin, à l'église, elle est restée droite comme un i, les yeux secs.
C'est maintenant, dans le secret de la nuit, qu'elle peut enfin pleurer.
Elle pleure enfin, le nez dans l'oreiller comme elle pleurait, adolescente au temps des premières amours.
Elle se réfugiait ici, dans le calme de cette maison quand elle avait du chagrin.
Cette chambre, elle s'y sent bien. Les rideaux de cretonne fleurie, la vue sur la vallée, les meubles massifs, c'est un havre de paix. Le tic-tac de la vieille horloge comtoise qui monte du salon.
C'est elle qui la remontait chaque soir, avant d'aller dormir. Suprême privilège accordé par son grand-père.
Elle se souvient des soirées passées au coin du feu, où l'on faisait griller des marrons, l'odeur de tabac de la pipe de grand-père se mélangeait à celles qui venaient de la cuisine.
Les parties de rami et de nain jaune, en écoutant les concerts à la radio, une vieille TSF.
Le souvenir de ces instants de bonheur tarit ses larmes.
Non, décidément, le sommeil ne veut pas d'elle cette nuit.
Elle se relève, traverse le couloir où sont accrochés les portraits de ses aïeux, ouvre doucement la porte de la chambre bleue.
Cette pièce, c'était le refuge des nuits de cauchemars, elle grimpait dans le lit, se faisait toute petite puis s'endormait paisiblement entre ses grands-parents.
Elle ouvre l'armoire et soulève la pile de draps. Elle sait que c'est là que Grand-mère cachait son coffre. Pas de bijoux, non, elle ne les aimait pas. Hormis sa bague de fiançailles et son alliance, elle n'en avait pas. Non, ce qui se trouve à l'intérieur du coffre est bien plus précieux.
Ce sont les lettres qu'elle échangeait avec son futur mari quand il était au front.
Soigneusement pliées, maintenues ensemble par un ruban de soie rouge, elles les a gardées.
Jamais personne ne les avait lues.
Mais cette nuit, les choses ont changées.
Alors elle prend le coffre, regagne sa chambre et enfin elle va savoir.
Elle défait le ruban et s'empare de la première lettre.
Une écriture soignée, un léger parfum de lavande s'échappe de la missive.
Elle lit, puis en prend une deuxième, puis une troisième...
Elle les dévore...
Et enfin, elle comprend.
Elle comprend enfin le lourd secret qui semblait planer.
Pourquoi n'avait-elle pas connu ses arrières grands-parents ?
Enfant, elle ne s'en préoccupait pas, ne se posait pas trop de questions quand elle entendait des bribes de conversation.
Ils parlaient d'un certain Emile. Mais elle ne le connaissait pas.
Elle sait enfin que son grand-père n'est pas son grand-père. Ce homme qu'elle adorait, qui savait la faire rire aux éclats en faisant des grimaces, qui savaient parler aux oiseaux, qui lui avait appris à écouter la nature, non ce n'est pas possible !!!!
Et pourtant, elle lit et relit...
Elle a bien compris.
Que doit-elle faire maintenant ? Doit-elle en parler à ses cousins demain matin ?
Non, elle gardera le silence, elle ira voir Emile, elle sait où il habite et elle lui dira qu'elle sait.
Qu'elle sait mais qu'elle ne dira rien à personne.
Pourquoi vouloir changer le cours des choses quand pendant plus de 80 ans, personne n'a rien dit, quand toute une famille a gardé le silence ?
Elle lève la tête et soudain s'aperçoit que le jour se lève.

Derrière la brume matinale, elle voit le soleil qui pointe.
La nuit s'éclipse. Une longue nuit pleine de secrets, de souvenirs.

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