C'est une histoire vraie, survenue durant ma jeunesse en Provence.
Il y avait dans le petit village provençal où je passais mes vacances, pendant mon enfance, un cultivateur remarquable, le Père A.
Ses cochons ne faisaient jamais moins de 300 kg, ses vignes donnaient un vin Côtes de Rhône de qualité remarquable, avec un rendement que les autres vignerons n’auraient même pas osé rêver. Il récoltait des courges de plus de 100 kg, quand à ses céréales, grâce à sa haute technicité, le père A. obtenait des rendements de50% de plus que les autres cultivateurs du village.
Tout cela selon ses dires, bien sûr. Et comme sa faconde était à la mesure de sa valeur professionnelle, nous aimions,nous les jeunes à le faire parler sur ses mirifiques récoltes..
Un autre cultivateur, homme d’esprit,disait : Au village, nous avons trois sortes de gaz : le butagaz, lepropagaz et le bédigaz. Il désignait par cette dernière « marque »le père A., bédigas signifiant bébète en patois.
Mon village était riche en personnalités remarquables. Il y avait également un jeune garçon, « Pierrot du Vialle (le Vialle était le vieux village) qui avait une structure mentale dans laquelle la partie « invention de galéjade » était hyper développée.
Il résolut un jour de faire une blague au père A.
Ce dernier, durant l’hiver, ne désarmait pas, et ses chênes truffiers donnaient les plus grosses truffes du monde, et en quantités surabondantes.
Pierrot de Vialle mit quelques truffes dans une cuvette d’eau durant toute une nuit. Le lendemain, il mit « l’eau truffée » dans une bouteille, et un mardi, de bonne heure ( le père A allait ramasser ses truffes les mardi et le samedi) nous sommes partis,Pierrot de Vialle, Jeannot du plan et moi, dans un des bois truffiers du père A..
Pierrot mettait de place en place un peu « d’eau truffée », et ce petit travail fait, nous sommes allés nous cacher derrière un buisson en bordure du bois.
Lorsque le père A. arriva il ordonna à sa chienne mirza « Serca la rabasse !! serca !.( cherche la truffe,cherche !!) Et très vite la chienne marqua une truffe. Le père A. l’écarta, lui donna son morceau de pain en récompense et se mit à creuser pour recueillir la truffe. Rien.
Il commença à engueuler sa chienne qui déjà marquait une autre truffe. La scène se reproduisit 10, 15 fois, et le père A. n’avait récolté qu’une seule truffe. Il s’étranglait de fureur. Mirza, la pauvre bête ne comprenait pas non plus ce qui arrivait, finit par se coucher, les oreilles en arrières, honteuse et craintive, et refusa de continuer son travail. Nous,derrière notre buisson, c’est de rire que nous nous étranglions.
Aussitôt après le départ du père A. qui continuait à agonir sa pauvre bête, nous avons pris nos jambes à notre cou,pour faire un détour et arriver devant la ferme du père A. avant lui. Lorsqu’il arriva, avec la figure d’ange de l’innocence nous lui avons demandé :
- Alors, père A. Larécolte a été bonne ?
- Quérécolte ? Je suis allé promener ma chienne. C’est une sacrée chienne, ma Mirza !!! Elle mériterait d’avoir une décoration, c’est la meilleure truffière du département et même de France, et peut être du monde. Quand elle marque une truffe, c’est sûr qu’elle est bien là ! Jamais elle se trompe.Je la donnerai pas pour un million !!
Fin