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ou intox ? Qu'elle relève de l'imagination d'un individu ou d'une
croyance collective, la rumeur obéit à une logique à laquelle se sont
trouvés confrontés de nombreux chercheurs. Recueillant leurs
expertises, Bertrand Delais
tente d'en démonter le mécanisme, exemples à l'appui. Retour en images
sur la naissance et la circulation des on-dit et autres légendes
urbaines.
Elle court, elle court, la rumeur.
Plausible ou farfelue, orale ou électronique, anodine ou alarmante…
Quelle que soit sa nature, elle agite régulièrement l'opinion
publique. Personne ne s'en rappelle les détails, cependant tout le
monde en a entendu parler. L'information est à mettre au conditionnel,
mais, au fait, par qui est-elle arrivée ?
Des jeux pour enfants contaminés dans une célèbre chaîne de fast-food,
une femme africaine mordue par un serpent caché dans des bongos achetés
sur un étal asiatique… Des nouvelles plus incroyables les unes que les
autres envahissent les rues et les écrans. Plusieurs exemples célèbres
viennent illustrer comment enfle et périclite une rumeur.
A Abbeville, en 2001, la croyance populaire voulait que la Somme ait été volontairement inondée pour protéger Paris. « Et si c'était possible ? », « Ce n'est pas normal », « Ça ne s'explique pas », « On aimerait bien comprendre », « Ça vient bien de quelque part »,
s'inquiétaient les riverains. A leurs yeux, la nature seule ne pouvait
expliquer pareille désolation. Et quand un drame survient, les
commentaires les plus hasardeux se révèlent aussi les plus contagieux.
Face à l'ampleur de la catastrophe, la recherche de responsables eut un
impact politique fort, déstabilisant jusqu'au Premier ministre de
l'époque, Lionel Jospin.
Quand les médias s’en mêlent
Avec
la rumeur, point d'amnistie. A défaut d'explication rationnelle, la
ferveur de l'opinion publique se canalise sur la recherche de
coupables. Dans l'affaire de pédophilie dite du Café de la plage, à
Angoulême, en 2002, les commérages ont ainsi fait de Gilles Pommier,
prêtre et homosexuel, le coupable idéal quand, cinquante-deux mois plus
tard, la justice l'acquittait. En prenant le parti des victimes, la
presse a ainsi participé involontairement à cette mécanique du bouc
émissaire. Et quel meilleur moyen pour propager la rumeur que de la
diffuser dans les médias traditionnels ?
Ces derniers opèrent en effet la transition, transformant un folklore
local en rumeur avérée. Car, sans relais médiatique, un bruit qui court
n'a que peu d'écho. Certains accusent même la presse de donner vie et
d'alimenter cette rumeur. Un procès excessif aux yeux du sociologue
Pascal Froissart : « On
peut incriminer les médias. Mais ils font leur boulot. Ce n'est pas
leur faute. Ce serait trop facile de dire ça. (…) Cependant, dès qu'on
intervient sur une rumeur, que ce soit pour la démentir ou la
répercuter, automatiquement, on la renfloue, on la nourrit. »
Le développement d'Internet complique le dispositif. Sur la Toile,
chacun peut colporter une nouvelle au nom d'une prétendue vérité
passée sous silence. Et de l'information à la désinformation, le pas
est vite franchi.
Anne-Laure Jean
L'invité de Carole Gaessler