JE ME PARLE
15
Mars
Maman
me le répète environ trois fois par jour.
«
Je ne serai pas éternelle. Il faut que tu songes sérieusement à te
marier »
Elle est marrante ! Je ne vais pas me
marier avec la première venue, puisque, moi-même, je ne suis pas le premier
venu.
C’est vrai ça ! J’ai fait de solides
études, j’ai une maitrise en droit, je suis plutôt pas moche, je suis doux et
gentil. Je crois savoir être romantique ou réaliste selon les circonstances.
Je n’ai pas le droit, non, pas le droit de
me gâcher.
Et puis, rien ne presse. Elle est en bonne
santé maman, et ma foi, ma vie actuelle me va très bien. Je suis libre, sans
avoir à faire plein de trucs aliénants, comme faire des repas, m’occuper de mon
linge, faire du ménage etc.
Pourtant…. Oui, il y a un pourtant.
D’abord, ce matin, en me peignant, j’ai trouvé
un cheveu blanc sur mon peigne. Ma mère ne se sert évidemment pas de mon
peigne. Ce cheveu, il vient de moi. J’ai bien cherché, je n’en ai pas trouvé
d’autres, mais quand même……
Et puis, il y a ça.
Ca, c’est ce que je suis en train de faire.
Je commence un journal. Pourquoi ? Hier encore, si l’on m’avait dit que
j’allais écrire mon journal, j’aurais rigolé. Aujourd’hui, je ne rigole plus.
J’ai besoin d’écrire. C’est une façon de discuter sérieusement avec moi. Et
j’en éprouve le besoin.
J’ai 29 ans. Je suis presque trentenaire.
C’est affreux.1 mètre 82, 74 kilos et,
je l’ai déjà dit, une gueule pas mal. C’est ce que me disait Marthe, encore
avant-hier. Elle m’a dit :
-«
Il est dommage, Pierre, que tu ne connaisses personne dans le domaine du
cinéma. Dans le rôle de jeune premier, je suis sûre que tu n’aurais pas été
mal »
C’est flatteur, non ? Il est vrai qu’elle m’a dit ça, alors que 10
minutes plus tôt, elle m’avait dit :
« Je n’aime pas Jacques. C’est un fat,
un pauvre type, le genre jeune premier, beau et con à la fois comme le disait
Brel. »
Ouais !! Cela atténue sacrément le
compliment qu’elle m’a fait par la suite.
Maintenant, il faut tenir compte du fait que
les femmes ne sont pas souvent conséquentes. Il y a peut être deux choses bien
distinctes. D’une part, elle n’aime pas Jacques, ce en quoi, je trouve qu’elle
a raison. Il est puant ce mec. Et d’autre part, elle a voulu dire que j’étais
un beau gars, sans se prononcer sur autre chose que ma beauté physique.
A la réflexion, je crois que ce doit être ça.
J’aimerais bien, parce Marthe est la mieux de toutes les filles que je connais.
Si, (supposition heureusement absurde) je
devais absolument me marier, c’est elle que je choisirais. Que je
choisirais ? Mais elle ? Elle aurait aussi son mot à dire, même s’il
s’agit d’un mot très court : Oui !
Alors ? Dirait elle Oui, à monsieur le
maire. Impossible de le savoir.
Impossible ? Non. Il suffirait que je lui
demande.
-
Marthe,
accepterais tu te marier avec moi ?
Décidement,
je ne tourne pas rond aujourd’hui. Et si elle me répondait oui, je n’aurais
plus qu’à dire à maman : « Ca y est je suis casé ». L’horreur.
Je préfère ne pas savoir si Marthe accepterait de devenir ma femme.
Avoir une femme ! Ca doit être drôle de
dire : « Ma femme m’a dit… » ou de l’entendre confier à
une amie : « Mon mari, l’autre jour… »
Non, je suis vraiment très bien comme ça,
et je ne vois pas pourquoi j’écris toutes ces choses idiotes. A demain mon
petit Pierre. J’espère que tu seras moins ridicule.
16
Mars.
Je n’ai plus aucun doute. Il s’est passé
quelque chose en moi. Et quelque chose que je ne comprends pas.
Je suis allé à la piscine cet après midi. Marthe
était là avec trois copines.
Un moment, nous étions tous les deux seuls,
Marthe et moi, à un bout de la piscine et je lui ai dit :
-
Marthe, penses tu
que je pourrais faire un bon mari ?
-
Ca dépend avec
qui, m’a-t-elle répondu.
-
Je parlais en
général, mais tiens ! Par exemple, pour toi, est ce que je serais un bon
mari ?
-
Comment veux tu que je le sache, puisque nous
ne sommes pas mariés.
Comme un idiot, je lui ai dit :
-
Oui, évidemment,
il faut vivre un peu ensemble avant,
pour le savoir.
Alors
elle m’a regardé bizarrement et m’a répondu.
-
Je suis d’accord
pour faire un essai.
Je
m’étais coincé tout seul. Je suis resté un moment sans réponse, et c’est elle
qui a ajouté
-
Mais je ne
voudrais pas vivre dans la maison de ta mère. Pour savoir si un couple marche,
il faut qu’il vive sans la présence d’autres personnes. Envisages- tu de
prendre un petit appartement ?
J’étais
complètement affolé. J’avais prononcé quelques mots en l’air, et je me
retrouvais avec une compagne et le loyer d’un appartement sur le dos !
C’était fou !!
Heureusement, Colette qui venait de
traverser la piscine en sortait, et dit
en riant :
-
Alors ? On
s’isole pour flirter ? Et, me prenant par la main, elle m’entraina dans la
piscine. Je suis parti dans un crawl impeccable de l’autre côté de la piscine.
Ouf !! J’avais été sauvé par le gong ! Mais ce n’était que
provisoire, je savais qu’un autre round allait suivre.
Le reste de l’après midi, je me suis
débrouillé pour ne jamais être seul avec Marthe, mais, il arrivera très vite un
moment où je ne pourrais pas échapper à une explication.
Bien sûr je pourrais lui dire que c’était une
plaisanterie…..Non, le mieux serait de parler d’un malentendu. C’est ça, un
malentendu. Je parlais en général, mais pas spécialement de nous.
Et si elle le prend mal, tant pis. Je
ne pensais pas qu’elle songeait à se marier avec moi. D’un côté, c’est
flatteur. C’est vrai, elle est de loin, la plus chouette de toute la bande.
Finalement c’est sympathique d’écrire
comme ça, à la fin de la journée. J’aime bien. Je crois que je vais continuer.
17 Mars
Et vlan !! Cette fois c’est ma mère qui
entre dans le jeu.
Elle a rencontré Marthe sur le marché, ce
matin. Il parait qu’elles ont discuté assez longtemps. De cette conversation,
ma mère a retenu que Marthe serait heureuse d’être sa belle- fille.
Evidemment, m’a dit maman, Marthe l’a dit
en riant, mais j’ai bien senti qu’elle pensait réellement ce qu’elle disait.
Et maman a conclu : « Tu devrais y
penser sérieusement, mon fils. Marthe serait pour toi une épouse idéale ».
Je me sens pris dans une nasse.
Affreux ! Je ne vois pas la possibilité d’en sortir. Je suis certain que
Marthe me posera la question d’une façon très nette. C’est une fille très
directe. Si je réponds non, nous serons fâchés. Je ne le veux absolument pas.
Mais d’un autre côté, me marier, maintenant, si jeune quand même, rien que pour
ne pas me fâcher avec elle….Non, je ne peux l’envisager.
Je parlais de l’inconséquence des femmes en
commençant ce journal. C’est redoutable de mettre ses pensées par écrit. On ne
peut plus les contester. Je disais que je vieillissais, et là, je viens de dire
que je suis trop jeune pour me marier. Il m’arrive de dire, en tout cas de
penser bêtement. Ecrire, c’est sympa, mais ce n’est pas sans inconvénient.
Enfin, le vrai problème n’est pas là. La
question est : Avec Marthe, je fais quoi ?
Rien. Je ne vais rien faire. Je vais laisser
venir. Pourquoi faire quelque chose, quand on ne sait pas du quel côté
aller ?
18
MARS
Je vais reproduire la conversation au
téléphone avec Marthe. Bien sûr, c’est elle qui avait appelé
-
Bonjour, Pierre,
je ne t’ai pas vu hier. Tu n’es pas malade ?
-
Non, non, ça va, mais hier j’avais un peu mal
à la tête, et je ne suis pas allé à la piscine.
-
Puisqu’aujourd’hui, tu vas bien, tu viens à la
piscine ?
-
C'est-à-dire…j’ai commencé à écrire, alors tu
comprends…
-
Tu écris ? Mais c’est formidable
ça ! Je suis certaine que tu as du talent. Quel genre as-tu choisi ?
-
Je préfère ne pas en parler pour l’instant.
-
Oui, je te comprends. Mais tu ne vas pas
écrire toute la journée. D’ailleurs, je sais que tous les écrivains s’efforcent
de sortir de leurs écrits pour avoir les idées plus claires, plus décantées.
-
Alors je ne dois pas être un écrivain, puisque
je n’éprouve pas le besoin de faire autre chose pour l’instant.
-
Ah, bon ? Alors je ne te verrai pas
aujourd’hui ?
-
Non. Je suis dans un passage délicat, je
préfère ne pas perdre le fil.
-
Alors je n’insiste pas. J’espère que demain,
tu auras pu franchir le passage difficile et que tu viendras à la piscine.
-
C’est possible. Tu sais, je ne peux prévoir à
l’avance.
-
Je sais, je sais. L’inspiration ne se commande
pas. En tous cas, je te le demande : je voudrais bien être la
première à lire ton œuvre. A demain.
Et voilà ! Je me retrouve
écrivain. Quand on commence par mentir, même si c’est un petit mensonge, on est
entrainé plus loin. Parce que j’ai dit avoir eu mal à la tête hier, je me
retrouve écrivain. Je lui dirai que je n’ai pas aimé ce que j’avais écrit,
alors que je n’ai pas écrit. Encore un mensonge. C’est un cycle infernal.
Mais après tout, si ! J’écris. Qu’est
ce que je fais en ce moment ? Je suis de mauvaise foi, mais puisque
personne ne doit lire ce que j’écris, et surtout pas Marthe, ce n’est pas trop
grave.
Tiens ? Il me vient une idée. Et si
je transformais mon mensonge en vérité ?
Demain, je commencerai un roman. C’est ça. Demain. Après les mensonges,
de la procrastination. Un mot que l’on ne peut placer normalement dans une
conversation sous peine d’être traité de
pédant, mais dans un carnet personnel, ça passe.
Au lit. Demain sera un autre jour.
19 Mars
Dans l’après midi, vers 16 heures, Marthe
est carrément venue chez moi. Elle n’aurait jamais fait cela il y a 3 ou 4
jours. Elle a le chic pour dire en riant les choses certainement importantes
pour elle.
-
Pierre je viens te
poser un ultimatum : Ou bien tu viens à la piscine, ou bien tu me fais
lire le début de ton roman.
( Suite et fin demain)