Albinos.
On m’a dissimulé aux regards dégoûtés de la populace, je suis une vraie malédiction. Cet anathème existait déjà alors que l'humanité tentait désespérément de se dresser sur ses deux pattes arrière.
C'était le dimanche avant Pâques, et papa faisait le m'as-tu-vu et parlait beaucoup à la multitude du quartier. C’est à cet instant que se produisit ce grand mouvement de frayeur dans la rue et il n’a pas tardé à le regretter. Quelques jours plus tard, il fut soulagé que la panique ne se soit pas étendue par toute la ville.
C'était aussi bien pour lui que les gens retournent à leurs affaires. Il s’est dépêché de disparaître pour aller boire.
Deux ou trois commères initiées m'ont deviné, pas davantage – et en douze saisons il y eu de nombreuses interrogations qui devinrent de terribles certitudes… Il fallait véritablement que le village se pose La Question...
Ce jeudi là, les mamas m'ont surpris caché dans l'arrière-cour et ont cru qu'elles pourraient faire quelque chose. Et lui, mon père n'a jamais avoué qu'il avait peur, effrayé par son propre rejeton. Il y en a une qui s’est mis à psalmodier, en transes, une véritable crise de folie mystique, comme elles le font d'habitude quoi… Pour un signe ou pour un autre… Un oiseau qui se pose, un chien qui passe le long de la clôture. Cette vieille-là s'était fait à l'idée que ma mère était tombée amoureuse du diable et donc qu'elle avait enfanté un malveillant et que ça devait vouloir dire qu'elle portait le signe du malheur. Lorsque ma mère allait au marché avec ses chèvres, les gens lui jetaient des pierres...
Alors lui… Mon père, il s'est mis en colère, et alors qu'il pensait le contraire, il a commencé à me frapper. Ce jour-là, j'ai détalé dans la rue jusqu'aux faubourgs…
J’ai douze ans… Douze saisons passées en enfer… Je sors la nuit, de toute façon, la lumière me fait mal… Il faut que je passe le lac, sinon les gamins du port ne me rateront pas…
Un touriste m’a dit un jour qu’il y avait un musicien comme moi qui jouait parfois en Europe, j’aime bien la musique…
Il faut vraiment que je passe le lac,
demain…