Ossip Mandelstam
Contre tout espoir
Mandelstam
En me persécutant, Monde, que retires-tu ?
Où est l’offense puisque j’essaie seulement
De mettre des beautés dans mon intelligence
Plutôt que mon intelligence dans les beautés.
(Mandelstam)
Philippe Jaccottet nous rapporte ceci :
« On raconte que Mandelstam, dans le camp, le goulag, de Sibérie où il a passé ses dernières années, aurait récité des poèmes de Pétrarque aux autres prisonniers. Malgré la faim, le froid, ils écoutaient, les oiseaux noirs aussi, qui s'arrêtaient un instant de tourner autour de la mort, seule libération des déportés. Dieu sait qu'il n'est rien de plus éloigné du lumineux Pétrarque que ces hommes en haillons. Mais ajoute-t-il, la poésie dans ce cas, c'était un peu comme la goutte d'eau pour un homme qui marche dans le désert, quelque chose qui tout à coup prend un poids d'infini et vous aide à traverser le pire.
Des récits de la Kolyma, l'enfer des camps russes, nous disent que la poésie aura été parfois la forteresse, et non pas du tout une échappatoire. La poésie parle toujours au nom de la vie. »
Cette parole au nom de la vie nous n'en aurions connu presque rien si l'amour insensé de Nadejda Mandelstam ne lui avait pas fait apprendre par cœur les poèmes de son mari, les cachant au fond d'elle-même, là où les sbires de Staline ne pouvaient les débusquer. Tout avait été soigneusement brûlé des écrits de Mandelstam. La parole de sa femme, la fervente mémoire d'une femme, l'ont sauvé de la nuit.
« Contre tout espoir » est son récit pathétique, le témoignage de la résistance morale et spirituelle de l'humanité face au monde concentrationnaire. Pour elle et son ami Varlam Chalamov, auteur de Récits de la Kolyma, le poète a une responsabilité morale et « il offre son propre sang pour donner vie à un paysage surgissant. Si cette limite n'existe pas, s'il ne sait pas se donner, il n'est pas un poète ».
« Il ne vivait pas pour la poésie, il vivait par elle. Il lui était donné de savoir avant de mourir que la vie c’était l’inspiration. » (Varlam Chalamov)
Mandelstam était donc un grand poète, il s'est donné.
Il nous a fait comprendre la signification de l'exil et du passé dont il faut prendre congé, de la foi en l'avenir. Et les petits matins de torture des révolutions usurpées. Et cette terre russe qui a tant besoin de sang aujourd'hui encore.
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