Nombre de messages : 1648 Localisation : au sud rien qu'au sud Date d'inscription : 23/03/2007
Sujet: Boris Vian Mar 7 Juil - 8:36
Boris Vian, l'homme qui a fait parler le jazz
“Sans le jazz, la vie serait une erreur”. J'afficherais volontiers en vitrine de la rubrique, cette déclaration de Boris Vian, mort il y a exactement cinquante ans (il en avait 39). Le jazz, "sa ligne interne” selon le mot de Cocteau, a traversé l'existence de l'inclassable (et inlassable) auteur de romans, chansons et chroniques à “Jazz Hot”. Lues à quinze ans, en préface de L'Ecume des jours, les quatre phrases suivantes trottent encore dans ma calebasse: "Dans la vie, l'essentiel est de porter sur tout des jugements a priori. Il apparaît en effet que les masses ont tort, et les individus toujours raison. Il faut se garder d'en déduire des règles de conduite; elles ne doivent pas avoir besoin d'être formulées pour qu'on les suive. Il y a seulement deux choses: c'est l'amour de toutes les façons, avec des jolies filles, et la musique de la Nouvelle-Orléans ou de Duke Ellington”. Duke. Vian l'a vu en 1939 au Palais de Chaillot. Irradié à vie. Le rythme du jazz, son bouillonnement interne, l'inspiration ininterrompue, se retrouvent dans son œuvre chantée. “Quand le producteur de ses chansons, mon père, Jacques Canetti, lui a appris qu'il avait été le premier à inviter Duke en France, Boris lui a voué une reconnaissance éperdue”, m'apprend sa fille Françoise Canetti. Elle perpétue le travail de production. Intarissable d'anecdotes, la pimpante pasionaria en robe blanche se souvient du grand dadais timide de la scène des Trois Baudets. “Mon père me plaçait, avec mon frère Bernard, dans une loge le dimanche après-midi, avec consigne de ne pas bouger. Il a été le premier à défendre les chansons de Vian. A saisir leur nature de chefs-d'œuvre. Mieux, il a convaincu d'autres artistes de les retenir dans leur répertoire. Ces gens ont pris des risques: les textes étaient très subversifs pour l'époque. Vian ne se sentait pas à l'aise sur scène. Il devait s'intercaler entre deux humoristes. Pas drôle, pour lui. Son pote Fernand Raynaud lui remontait le moral. Brassens aussi, qui de toute façon soutenait tout le monde. En revanche, la bringue avec Vian se déroulait dans un fou-rire permanent. Il redevenait sérieux pour composer avec Jimmy Walter, son accompagnateur. Vian écrivait les paroles sur le pupitre, quasiment d'un jet. Puis sortait. Alors Jimmy s'attelait à l'arrangement musical. Quand Vian revenait, la musique était sur le papier. La chanson commençait sa vie. Canetti enregistrait à l'Apollo, rue de Clichy, avec André Tavernier, un ingénieur du son exceptionnel.”
La Fnac distribue le coffret de 100 chansons écrites par Vian que Françoise Canetti a compilé (4 CD, vidéos inédites, livret de photos: environ 25 euros). Vital. Un monument (manquent les perles interprétées par Salvador -sa veuve a refusé). Je me cogne à chaque écoute l'énorme Fais-moi mal Johnny immortalisé par Magali Noël.
L'actrice française, qui a tourné dans trois films de Fellini, me reçoit dans son appartement parisien autour de la place de Breteuil. Magali Noël est née en 1932 à Izmir, en Turquie. Éblouissement à son apparition: quel sourire! (comme sur la photo, je vous jure). La beauté se souvient très bien du titre enregistré en 1956, du reste interdit à la radio pour les paroles jugées trop osées. “Canetti m'avait entendu chanter le thème du film de Jules Dassin “Du Rififi chez les Hommes”. Il m'a présenté un gentil gars, au visage un peu triste. Vian m'a demandé tout de go si j'étais d'accord pour chanter ses chansons. Canetti m'a rappelé très vite pour entrer en studio. Alain Goraguer dirigeait l'orchestre. Il m'a fait répéter, exigeant une élocution claire et rapide. Boris a sans doute souhaité une comédienne pour traduire l'agacement et le dépit de l'héroïne de la chanson. De ma voix haute, un peu pointue, j'ai mis la gomme. Boris supervisait dans la cabine. Il rigolait comme un fou. D'un coup, il s'est rué dehors, et m'a rejoint sous le micro pour répéter le légendaire : "Vas-y fais-lui mal"! La partie n'était pas prévue. Quel type merveilleux, si sensible au malheur des autres, et bourré de fantaisie! Les discussions finissaient fréquemment en délire. Je le chante toujours avec tendresse. De lui j'ai gardé la sentence: “On dit que je joue avec les mots; si les mots étaient faits pour ça?" Je n'imaginais pas l'envergure du Monsieur. Chacune de ses strophes est amoureuse du jazz.” La séduisante créature a interprété une cinquantaine de ses compositions. Le label Dreyfus Jazz vient de rééditer l'essentiel (Magali Noël: Regard sur Vian en 2 CD). Son interprétation de Fais-moi mal Johnny reste insurpassable. Elle a presque été égalée, le 23 juin dernier, sur la scène de la salle Pleyel par le phénoménal François Hadji-Lazaro. Ce jour-là, sous la houlette du journaliste Olivier Nuc, des pointures de la chanson française rendaient un Hommage à Vian. Juliette (Complainte du progrès), Arthur H (L'Âme Slave), Thomas Fersen (Barcelone), Agnès Jaoui (Le Déserteur), et l'ancien Garçon Boucher, Hadji-Lazaro, se sont montrés à la hauteur. D'autres, comme Daniel Darc et Barbara Carlotti (faut le faire, banaliser un bijou comme Ses baisers me grisaient!), sont passés à côté. La palette, et d'autres, se retrouvent aussi sur le double CD édité par Universal (On est pas là pour se faire engueuler), également supervisé par Nuc. Emily Loizeau et Olivia Ruiz, notamment, présentent des cadeaux. La petite voix de Nana Bruni sévit sur La Valse des Mannequins. Juliette Gréco reprend Le Déserteur. A son avis, il ne s'agit pas d'un hymne antimilitariste: le gars qui s'exprime est tout simplement un paysan qui ne veut pas mettre en colère le Président. En 1945, Boris Vian a fait découvrir la musique afro-américaine, interdit sous l'occupation, à l'égérie de Saint-Germain-des-Prés. Le jazz, Gréco ne s'en est jamais remise. Moi non plus. Bruno Pfeiffer
une petite vidéo sur la voix de la divine magali noél.
radio-carolina Sacrée Pipelette
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