Nous sommes en studio, en direct,
devant deux millions et demi de téléspectateurs. Mais surtout, devant
tous les journalistes politiques. Une émission avec Mitterrand ça ne se
rate pas, on guette les "petites phrases" qui vont faire jaser. Bref,
ils font leur boulot d'échotiers. Georges Marchais est sur le grill
depuis qu'ont été publiées des informations pour le moins gênantes sur
ses activités pendant la guerre. Sans oublier qu'il a approuvé
l'intervention soviétique en Afghanistan quelques semaines plus tôt...
Les
journalistes sont à l'affût d'une déclaration de Mitterrand. Avec une
telle caisse de résonance, la provocation de Balavoine va prendre une
ampleur démesurée.
Daniel >
Alors si je peux rien dire avant la fin de l'émission je parle pas pour
vous M. Mitterrand parce que moi j'avais pris plein de notes en venant
dans votre émission.
Journaliste > Vous aurez le temps.
Daniel > Non j'aurai pas le temps je le sais déjà que je n'ai pas le temps, j'ai juste le temps de me mettre en colère.
Journaliste > Vous voulez commencer maintenant.
Daniel >
Non, c'est le système de l'information française qui est fait comme ça,
j'aurai le temps une minute de m'énerver, juste de m'énerver et
paraître pour un petit merdeux et un petit jeune qui fout la pagaille
partout.
Je préfère m'en aller tout de suite si j'avais su que je n'aurais pu
rien dire j'aurais dormi beaucoup plus tard.
François Mitterrand essaye de calmer la situation et demande à Daniel de revenir sur le plateau...
Daniel >
Je peux dire une chose importante si vous aviez parlé pendant dix
minutes au moins de l'affaire Georges Marchais dont tout le monde se
fout strictement. Je vous signale que la jeunesse française se fout
strictement de ce que M. Marchais faisait pendant la guerre ça lui est
complètement égal.
Ca intéresserait plus la jeunesse de savoir ce qui se passe et comment
le parti communiste encaisse de l'argent pour le dépenser après,
notamment à la mairie de Bagnolet ,ça intéresserait mieux de savoir
comment Gaston Deferre dirige sa mairie socialiste qui n'est pas un
modèle de société à Marseille, ça intéresserait plus de savoir les
jeunes français comment M. Raymond Barre qui est arrivé il y a 5 ans ou
4 ans ou je ne sais plus combien de temps a dit que les salaires ne
seraient plus diminués mais qui augmentait les cotisations de la
sécurité sociale c'est beaucoup plus intéressant que tout ce que vous
racontez.
Georges Marchais, on s'en fout de Georges Marchais il faut le savoir
que ce qu'il faisait pendant la guerre ça nous est complètement égal.
Le problème de drogue de la façon dont le traite les ministres français
on s'en fout Il n'y a jamais eu un jeune ministre de la jeunesse c'est
tous des vieux, regardez M. Soisson enfin vous allez pas me dire que
c'est un homme représentatif de la jeunesse regardez comment je suis
habillé, ils sont plus souvent habillés comme moi les jeunes que comme
M. Soisson.
Il faut quand même pas rêver.
Tout ça ce sont des bêtises j'ai encore pris plein de notes au fur et à mesure que vous parlez.
Ce que je voudrais savoir, ce qui m'aurait bien intéressé c'est à qui
les travailleurs immigrés payent les loyers qu'ils payent, on a vu tout
à l'heure des gens qui disaient : "on payent 700 francs par mois", moi
je voudrais savoir qui encaisse de l'argent pour louer des poubelles
pareilles c'est ça que je voudrais qu'on me dise, c'est pas savoir
comment on peut faire pour changer, je voudrais savoir qui ose tout les
mois demander 700 francs à des travailleurs immigrés pour vivre dans
des poubelles et dans des taudis, ça c'est ça que je voudrais qu'on
m'explique parce que moi je ne le sais pas.
Je voudrais savoir pourquoi M. Boulin a été suicidé ou s'est suicidé ou
on ne le saura jamais, pourquoi M. Fontaine a été assassiné..... J'en
ai d'autres.
La seule chose que je peux vous dire M. Mitterrand, j'en profite de
vous avoir parce que je suis fier d'être là .
Je peux vous le dire on s'en aperçoit peut être pas mais vous pouvez
pas imaginer ce que c'est pour un jeune d'avoir la possibilité pour un
jeune de parler une minute c'est pour ça que j'avais peur de pas
pouvoir parler parce que ça n'arrive jamais faut bien se mettre ça dans
la tête ...
Journaliste > Nous vous avons donné ici même assez fréquemment la parole aux jeunes.
Daniel> Je sais bien. Vous exagèrez l'information je suis obligé de
l'exagérer moi aussi je la résume à ma manière... Ce que je peux vous
donner c'est que généralement c'est un avertissement, j'ai peut-être du
culot de faire ça je suis obligé de le faire comme ça parce que je dois
faire vite.
Ce que je peux vous dire c'est que la jeunesse se désespère elle est
profondément désespérée parce qu'elle n'a plus d'appuis, elle ne croît
plus en la politique française et moi je pense qu'elle a en règle
générale en résumant un peu bien raison.
Ce que je peux vous dire c'est que le désespoir est mobilisateur et que
lorsque il devient mobilisateur il est dangereux et que ça entraîne le
terrorisme, la bande à Baader et des choses comme ça et ça il faut que
les grandes personnes qui dirigent le monde soient prévenues que les
jeunes vont finir par virer du mauvais côté parce qu'ils n'auront plus
d'autres solutions. Voilà et je vous remercie de m'avoir laissé parler. Mitterrand> Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est que cette façon de penser, de
réagir et de s'exprimer, parce qu'enfin Daniel Balavoine s'exprime par
l'écrit et par la musique, ait droit de cité. Il est responsable de ses
paroles. C'est un citoyen comme un autre, mais typique. Et quand je dis
typique, c'est parce qu'il représente, à mon sens, des centaines de
milliers de jeunes.
Journaliste > Mais il semble que Daniel Balavoine rejette tous les hommes politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche.
Mitterrand> Il a le droit ! Et pourquoi pas, je suis pour que tout soit dit et
que pour tout homme politique puisse être mis en question.
Sources : textes issus du livre "Balavoine"
de Gilles Verlant,
photos proposées par Chantal.