Jambon-beurre

Jambon-beurre



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Plus belle la nuit
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Alain Bonaventure aimait la nuit, quand les brouhahas de la rue s'estompent et que l'on n'entend plus que les craquements des murs et les bruits des objets qui se rétractent, quand la température baisse. Dès le printemps, il laissait les fenêtres de son studio ouvertes, devant les volets mi-clos, pour mieux entendre le rossignol chanter. Il y avait un grand arbre, au pied d'un banc, sur la placette qui faisait face à son balcon, et c'est là que le rossignol s'installait pour son concert nocturne. Un matin, il avait eu l'occasion d'observer son petit compagnon de plus près, alors que celui-ci était venu voleter sur le balcon, par simple curiosité ou peut-être pour trouver quelque nourriture : c'était fou de penser qu'un oiseau au plumage si insignifiant puisse chanter aussi bien. Les humains n'ont pas cette chance : leurs chanteurs et chanteuses se doivent d'être beaux, ou tout au moins d'avoir un look qui les distingue de l'ordinaire.

Il vivait seul dans son studio et on ne lui connaissait pas de petite amie, mais il partageait sa vie avec un compagnon dont il était inséparable : son ordinateur. Et toutes ses nuits, il les passait à pianoter sur son clavier, perdu dans les méandres de la Toile. Ses journées à lui commençaient sur le coup des dix heures du soir, alors que le soleil est la plupart du temps déjà couché, et se terminaient vers onze heures du matin, lorsqu'il sortait de son appartement pour aller acheter un jambon-beurre à la boulangerie qui faisait le coin de sa rue. La nuit, il consommait le plus souvent une pizza surgelée, des fruits et deux litres de café. Quand il venait à manquer de l'un ou de l'autre, il allait s'approvisionner à l'épicerie du quartier, à deux cent mètres de chez lui.

Etait-il heureux ou malheureux ? Lui ne se posait pas ce genre de question et personne d'autre ne devait le faire à sa place puisqu'il n'avait pas d'amis et plus de famille proche depuis la mort de sa mère et de son père, qui remontaient déjà à quelques années : ni frère ni soeur, ni oncle ni tante, ni cousins pour prendre de ses nouvelles. Il était propriétaire de son appartement et vivait du confortable héritage que lui avait laissé ses parents, qui avaient su placer à propos les bénéfices de leur quincaillerie en gros. Lui ne s'était jamais soucié de reprendre l'affaire familiale et l'avait mise en gérance, se contentant de toucher deux fois l'an des chèques au montant assez conséquent.

La vie d'Alain était ainsi dans une sorte de statu quo qui durait depuis près de dix ans et il filait tout droit vers l'anniversaire de sa trente neuvième année. Ce jour là...


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Ce jour là... inventaire de chûtes possibles
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• Ce jour là, il s'étouffa en avalant une gorgée de café par-dessus un gros morceau de pizza. Les voisins ne s'aperçurent de sa disparition qu'au bout d'une semaine et des poussières.

• Ce jour là, il y eut une grosse panne de courant et il ne put pas utiliser son ordinateur. Il en conçut un très vif chagrin, envoya une lettre d'injures à EDF et dut passer en correctionnelle quelques mois plus tard.

• Ce jour là, il fut mis en garde à vue pour téléchargement illégal de musique et de logiciels et son ordinateur fut saisi, ainsi que toute sa collection de CD-roms. Au retour de sa garde à vue, Alain, ne pouvant supporter la perte de son précieux engin, se suicida aux barbituriques.

• Ce jour là, il reçut un étange message dans sa boîte mail, qui provenait d'une race extra-terrestre supérieurement intelligente désirant nouer des contacts avec des terriens solitaires. La lettre n'étant pas traduite, il la mit à la corbeille en pensant que c'était un spam : il ne rencontra jamais aucun extra-terrestre super-intelligent.

• Ce jour-là, Alain remplaça le café par de la bière et prit une biture phénoménale. Il n'alla pas chercher son jambon-beurre de onze heures à la boulangerie du coin de la rue, comme les autres matins.

• Ce jour là, son ordinateur tomba en panne et il se pendit avec le fil de sa souris.

• Ce jour là, il tomba amoureux de la nouvelle factrice qui venait lui apporter un courrier en recommandé. Ils se marièrent et eurent sept enfants, dont un seul nain.

• Ce jour là, il crut qu'il avait gagné un nouvel ordinateur à un jeu en ligne et il envoya un chèque, pour les frais de dossier : il en fut pour ses frais, ne reçut jamais son nouvel ordinateur, et résolut de ne plus jamais jouer aux jeux en ligne.

• Ce jour là, Alain s'aperçut qu'on se moquait de lui dans son dos sur certains forums et qu'on l'avait surnommé jambon-beurre. Il en conçut une grande amertume et devint neurasthénique.

• Ce jour là, Lucette, une ancienne copine de lycée d'Alain, découvrit que c'était lui qui se cachait sous le pseudonyme Léon-333. Elle menaça de le faire chanter mais il lui répondit qu'il s'en foutait. Lucette abandonna l'affaire.

• Ce jour là, Alain se décida à aller consulter un psy pour son addiction à l'ordinateur et à Internet. Son psy lui conseilla d'avoir une copine ou bien encore d'adopter un chien. Il choisit la deuxième solution.

Mais le plus probable, c'est que ce jour là, il ne se passa rien de plus que les autres jours, ni que les jours suivants, dans la vie d'Alain Bonaventure. Celui-ci mourut devant son ordinateur bien des années plus tard, à soixante quinze ans pour être précis, et il ne laissa pas d'héritier.

Excellentissime je trouve!

Ce jour là tu m'as fait rire!!

Citation :

Ce jour là, son ordinateur tomba en panne et il se pendit avec le fil de sa souris

J'ai beaucoup aimé, on l'imagine sans mal couvert de toiles d'araignées face à son écran, tout décatis.