Elle est pas belle, Mamy
La maison de Mamy est belle, mais Mamy, elle, elle est pas belle. Elle est toute ridée, comme une vieille pomme de terre qui a passé l'hiver à la cave, et elle a les yeux noirs comme du charbon. Elle a les cheveux qui tombent aussi : ça fait des mèches par terre. Moi, j'aime plutôt bien Mamy mais je n'aime pas la cave : c'est là qu'elle m'enferme quand je ne suis pas sage et c'est souvent qu'elle dit que je ne suis pas sage. Elle trouve toujours que je suis sale, ou maladroit, ou que je fais trop de bruit. Mais je ne me laisse pas toujours faire et quand Mamy me demande d'aller à la cave pour me punir, je monte me cacher dans sa chambre, et j'y reste en attendant qu'elle se calme.
J'aime bien aussi la chambre de Mamy car il y a une grande armoire pleine de robes, avec une glace pleine de points de rouille : on dirait des tâches de rousseur comme les miennes. Alors je monte dans la chambre et j'essaie les robes et puis je me regarde dans la glace. Mamy ne m'a jamais grondé pour ça et pourtant, je suis sûr qu'elle sait ce que je fais, car je ne remets pas toujours les robes au bon endroit. Mais elle a trop mal aux jambes pour monter et me mettre la main dans le sac. Simplement, elle se contente de m'appeler de son fauteuil : « Marc ! Marc ! Qu'est-ce que tu fais ? Où est-ce que tu te caches ? »
J'aime bien les glaces mais c'est celle de l'armoire de Mamy que je préfère car je suis beau habillé en robe, quand je me vois dedans. Avec les points de rouille, ça me fait comme des paillettes et je me dis que je pourrais travailler dans un cirque ou faire des défilés de mode. D'ailleurs, je me déguise parfois même quand je ne suis pas puni. Les robes de Mamy me vont bien mais elles sont un peu courtes et l'autre jour, j'en ai déchiré une à l'épaule. J'espère que Mamy ne s'en apercevra pas, sinon elle va encore vouloir m'envoyer à la cave.
Il y a aussi Bobby qui vit avec nous, le chien de Mamy. Papy n'aimait pas Bobby. Il disait toujours : « je vais finir par lui mettre un coup de fusil, à celui-là ! ». Un jour, Bobby a mordu Papy au mollet et il est devenu tout bleu : pas Bobby, ni Papy, mais son mollet. Après ça, Papy a dû rester au lit et puis, un jour, il a disparu. Je l'ai cherché pendant longtemps dans la maison. Parfois, je me demandais s'il n'était pas caché dans la chambre de Mamy pour essayer ses robes, lui aussi. Mais Mamy dit qu'il a eu la gangrène et qu'il est « parti », ou bien encore qu'il a été « emporté », ou qu'il nous a « quitté ».
J'espère qu'il reviendra car j'aimais bien Papy. Il me racontait des histoires de chasse terribles et me montrait ses fusils. Des fois aussi, il prenait ma défense quand Mamy voulait m'envoyer à la cave. Il disait « laisse-le tranquille ce gosse » et après il se disputait avec elle.
Mais tout ça, c'était avant. Aujourd'hui, je peux manger des glaces quand je veux et puis me déguiser aussi, et même descendre dans la salle-à-manger en robe. Mamy ne me gronde plus et ne m'envoie plus jamais à la cave. C'est Bobby qui grogne, si je ne lui donne pas à manger. Mamy, elle, elle ne me fait plus à manger et je dois me débrouiller tout seul. Elle reste dans son fauteuil toute la journée avec les yeux ouverts, sans parler.
Alors, le matin, c'est moi qui vais chercher le courrier pour voir si Papy ne m'a pas envoyé une carte postale, pour nous annoncer son retour.