Le croassement des corbeaux est le premier signe de la désolation qui a envahi le pays. Engourdis, les autres bruits ne répondent pas à cet appel lugubre, dans une aube obstinément obscure comme un crépuscule. Une lumière laiteuse oblige le jour à s’extirper péniblement de sa torpeur fiévreuse. Le brouillard s’étire en toiles pesantes, fantasmagoriques haillons tissés par de grasses araignées velues. Les arbres nus étendent leur branches décharnées, semblables à des squelettes qui perdraient goutte à goutte leur dernier sang. Pourriture et moisissure partent à l’assaut de tout ce qui survit pour l’immobiliser dans une repoussante putréfaction. A chaque recoin de village, des murs moussus suintent d’ennui et d’humidité. Le granite prend son aspect lourd et froid, transformant les demeures en d’impressionnants tombeaux, aidé par la grisaille des lauzes et des lichens, et la noirceur des basaltes.
L’air glacial retient les fumées qui ne sortent qu’à contrecœur des cheminées, étendant au ras des sols vitreux d’acres lambeaux vaporeux, mêlant au poisseux de l’atmosphère une lourdeur maladive. Des roquets efflanqués à l’haleine fétide et empestant le poil mouillé surgissent de cours délabrées, jetant aux rares passants leurs aboiements caverneux. La vue s’écorche sur les barrières de bois vermoulu écroulées et sur les barbelés rouillés qui surveillent des chemins boueux et défoncés partant se perdre dans de sombres forêts et des landes désertes. Dans les lieux habités, quelques improbables silhouettes, aux épaules voûtées comme pour se protéger d’un environnement incertain, filent d’un pas pressé. Embusquées dans leurs longs manteaux aux cols relevés, elles se glissent vers des destinations à peine discernables, sous les tristes halos lumineux pendant des lampadaires qui gardent les ruelles d’une haie de potences. Des vitres embuées des maisons toutes grises, s’échappent des regards vides, angoissés ou implorants, figés en d’inaudibles plaintes, avant d’être emportés par la bruine qui trouble les carreaux.
Le vent aux accents violents arme ses bourrasques d’éclats d’obsidienne qui déchirent sur leur passage autant les corps que les esprits. Les émotions, l’amour en tête, blessées par ces coups de poignards punissant leurs coupables allégresses, courbent l’échine, avant d’expirer dans une mare sanguinolente ou se diluent sous les gouttes acides les derniers feux d’un lointain bonheur promis à l’oubli. La pluie assourdi tout de battements arythmiques tels ceux d’un cœur fatigué. Seul l’écho de l’eau dégoulinante transperce les baillons. Un silence pesant enserre peu à peu d’une camisole ce jour sordide qui s’éteint, résigné, dans l’allée des soupirs d’une sonnerie aux morts. L’obscurité de la nuit va draper dans son linceul noir d’un velours hermétique et étouffant, les impressions fugitives mais tenaces de peur instinctives, avant de faire résonner du même bruit sinistre des ferrures et battants des portes d’église, le couvercle de son cercueil.
Cachet d’asp(i)leen d’un Novembre grippant le beau de l’air.