Un autre œil C’était au temps où elle passait ses soirées à poursuivre ses lectures spirituelles.
Allongée confortablement dans son grand lit rétro blanc au décor de laiton, sa lampe murale projetant une douce lumière sur chaque page tournée, elle lisait tranquillement, l’un après l’autre, soir après soir, les ouvrages qu’elle avait récemment acquis.
Connaissance de l’invisible et voyage initiatique l’intéressaient au plus haut point. Et le cheminement des vies antérieures aux vies futures n’avait rien d’égal en la matière pour assouvir son appétit de connaissance, de témoignages. En fait, c’était surtout ce qui nous lie les uns aux autres et les diverses façons d’appréhender la vie et les humains qui la passionnait.
Lors de ses pérégrinations en Inde, nombreux furent les événements qui servirent de tremplin à ce besoin de savoir.
Quand elle referma le livre et le posa près d’elle, un suave bien-être envahit tout son corps, et elle ressentit le besoin de s’étirer, cambrant légèrement la tête en arrière. Comme son regard se portait alors vers la lampe au -dessus d‘elle, pour éviter la lumière électrique, elle étira sa nuque d’une manière lascive, ainsi que le font les chats.
Un immense bonheur était en elle, une douce joie. Elle se remit à penser aux mots qu’elle venait de lire. Ses discrets étirements et son sourire montraient qu’une grande félicité l’habitait. Elle se délectait de la profondeur du sens des paroles du livre. Chaque inspiration l’abreuvait de plaisir et elle se mit à respirer régulièrement pour l’accroître encore et encore.
Lentement, elle fit un mouvement du dos et de la tête pour pouvoir reprendre sa lecture, et tout à coup, il se produisit quelque chose d’inhabituel.
Tandis qu’elle respirait sans plus penser, mais jouissant de bien-être, son regard dirigé vers le mur, une bonne partie du papier peint bleu marine et or disparut, laissant place à une grande et lumineuse tache blanche.
Elle se dit qu’elle n’aurait pas dû regarder la lampe en s’étirant et que maintenant, il lui fallait ré-accommoder sa vue. En fermant les yeux, elle s’attendait à tout remettre dans l’ordre au moment de les ouvrir.
Quelle ne fut pas sa surprise de continuer de voir ce blanc lumineux, comme un grand ovale, et de pouvoir également regarder tranquillement l’ensemble de sa chambre!
Elle s’assit. Ses deux yeux fonctionnaient comme d’habitude, et une vision de claire lumière venait s’ajouter à ce qu’elle regardait, un peu plus haut que ses paupières, même quand elle se tournait la tête à gauche, à droite, vers le haut et vers le bas.
Comme elle sentait une légère pression sur son front, elle se dit que cette vision n’avait rien à voir avec un quelconque éblouissement par lampe électrique, et elle sentit qu’elle vivait pour la première fois une expérience d’ouverture de troisième œil.
Elle avait toujours pensé que cela ne lui arriverait jamais, vu qu’il était si souvent dit et écrit qu’il faut travailler sur soi, et être vraiment exceptionnel pour y parvenir.
Et, heureuse d’avoir compris ce qu’il lui arrivait, malgré sa solitude, elle se rassura et s’allongea, tentant de garder son calme, continuant de respirer régulièrement, et pensant à nouveau aux bienfaits de sa lecture.
C’est alors que le blanc de blanc disparut, laissant place à l’azur d’un beau ciel lumineux. Des rameaux d’acacia la protégeaient du soleil. Les petites feuilles étaient vraiment jolies et d’un beau vert tendre. Elle les voyait par-dessous et la lumière d’un soleil invisible les rendait un peu translucides.
Elle attendit, et comme rien ne se passait, rien ne bougeait, elle vérifia qu’elle pouvait encore voir sa chambre. Tout était normal. Une certaine concentration lui était nécessaire pour faire fonctionner les deux sortes de vision. Par jeu, elle s’exerça à focaliser son attention d’une manière ou d’une autre.
Elle attendit encore, et rien ne se produisant, elle commença à perdre patience et souhaita que le feuillage ne reste plus immobile. Toutes ces feuilles si mignonnes étaient comme des sœurs et elles étaient bien sages.
Alors, elle tenta de diriger ce nouvel œil vers le bas pour essayer de voir autre chose que le ciel, pour savoir en quel pays, en quel monde était planté cet arbre.
Elle y parvint, malgré une farouche appréhension, et découvrit un paysage inconnu.
Il y avait quelques arbres au loin, ainsi que des bosquets, des pelouses, et aussi une sorte de rivière verte qui ne bougeait pas. C’était comme une large chaussée lisse faite en émeraude, avec quelques strates, ça et là. Il n’y avait personne.
Elle aurait bien voulu savoir en quel lieu se trouvait ce panorama et se demandait si elle avait vraiment le droit d’être aussi curieuse.
Mais comme il se faisait tard, et qu’elle savait ne rien regretter si ce phénomène ne se reproduisait plus, elle décida de commencer sa nuit. Se tournant sur le côté, elle sentit une paupière très épaisse recouvrir tendrement l’œil qui s’était ouvert ce soir-là.
Marieva.