Un cahier, un crayon aux encres multiples, une carte plastifiée, une clé dont la vocation est de ne jamais ouvrir la même porte : ce sont autant d'objets vestiges de la journée, posés sur la table de bois. Un vélo s'est arrêté entre deux pluies. Ici, les arbres m'accompagnent : au bout de ce chemin, nous nous retrouvons enfin.
Je tente l'osmose de la chair et du bois, vainement. Echanger mes maigres os et ma lymphe paradisiaque - miracle que cette dureté maintenue par nos coquilles de peau - contre ces écorces creuses d'une chair sans autre densité que d'aimer trop l'atteinte des nuages. S'imaginer fouler des pieds, d'un pas, la masse fébrile de l'herbe encore chaude du trop plein de lumière. Prendre à parti la table de bois, une nouvelle fois : peut-être l'esprit se sent-il plus proche du bois mort qui s'offre à soi au bout d'un itinéraire.
La question, s'il importe de se poser ces questions de ton, l'importante question de savoir de deux buissons duquel germera le premier bourgeon : ma préférence au buisson veille, dont la couleur ocre sacrifie aux amis sa vie, laissant à la jeunesse la sève et l'énergie. Parfois deux troncs si fins se prolongent de biais vers un point de tension, ne peuvent se retenir et fleurissent d'artifices et d'un bouquet de nids. Ces troncs si longs que seuls des anges y habiteraient, ces troncs seraient leurs propres branches et la terre, les racines, traverserait tout un hémisphère.
Le balancement de l'épicéa en quête d'une mer confond le vert et le bleu blanc que dispense un ciel légèrement teigneux. Les aboiements d'un chenil au loin retentissent dans le bois comme pousse le chiendent. Surgit le battement de deux ailes en droite ligne, parfois courbe, d'une cime haute au nuage bas. Les oiseaux s'appellent au hasard ou s'étonnent du printemps, absent. Certains de ces chants sont mélodieux, d'autres braillent, brouillent, nasillent, crèvent l'instant. La nature nous propose ainsi ses propres rhumes : nous ne sommes pas les seuls détenteurs d'un tremplin d'énergie. Cet oiseau perturbateur, canard voleur ou corbeau rêveur, serait-ce lui, le maître des mots et des ailes ? Je me plais à le comparer au maître des maux que l'on sème.
L'herbe est encore gonflée de toute l'humidité de la nuit et de la nuit d'avant et ainsi de toutes les nuits pleurs larmes joies que chaque jour draine. L'herbe, gonflée des rires d'enfant, n'est pas si pudique. Je commets l'erreur de voir en cette nature hermaphrodite des hommes s'attelant aux femmes et des femmes attendant les hommes, là où ne poussent que des êtres de lumière. Il me vient à penser que le gazon sauvage de nos forêts est d'une féminine engeance. Je me trompe dans mes urgences. L'herbe plie, ploie, ne connaît d'espoir que d'être aimée, piétinée, traînée, spleenée aux matins gris, dans la multitude de ses congénères, brisée par quelques fourmis. Elle se sait par avance arrachée au seuil de la mort pour raffermir l'autre nid, lue en travers de pages courbes ou tenue, entre deux lèvres rouges, en suspend. L'herbe est un homme qui s'embellit au seuil de l'automne de voir la feuille tomber des nues et ainsi le préférer aux nuées. Le tronc, l'arbre, les branches explosent de leur candeur statique, défrichent l'espace, dissimulent leurs lourdes cicatrices dans un coeur circoncis. Au final, seuls les arbres peuvent prétendre à la beauté particulière. Les arbres ne seront jamais des hommes.
Insensée projection d'un système pensant sur un système aimant. Mon énergie s'épuise sur ces bucoliques errements. Il me reste une fierté : celle, fugitive, de ne plus savoir être qu'une machine à faire des mots de bois.