« Lorsque l'oralité et l'écriture seront complices en ce voyage, je m'incarnerai en griot blanc. » Marc Roger
Porter la parole… Transmettre une correspondance aux autres. N’est-ce pas une tentative un peu vaine de partager un regard, une émotion fugace ? La difficulté de l’exercice est de ne pas succomber à cette propension présomptueuse de verser dans le prosélytisme de salon. C’est un des effets déplorables de l’abus de mauvaises lectures faites un peu dans la confusion chronique qui caractérise cette époque de palabres inutiles.
J’ai longtemps cru, par maladresse et non par fatuité, persuader mon entourage de partager cette boulimie de mots, de textes, d’auteurs et d’horizons différents. J’ai certainement cassé les pieds à un auditoire certes, clairsemé, mais néanmoins engourdi par des sujets nébuleux et hermétiques…
Comme les chaussures, les coupes de cheveux (pour les chanceuses et les chanceux qui possèdent encore des cheveux…) ou les appareils technologiques, ils existent des modes. Les sujets de conversation ne dérogent pas à cette règle sociologique. Et rien ne me navre davantage. Les idées prêtes à l’emploi (il n’y a qu’à rajouter de l’eau et faire chauffer), les clichés à 4 ou 6 tunes le boisseau et la compassion à heures fixes (principalement par grand froid et aux moments des fêtes de fin d’année) me consternent. Non pas que je pense être au-dessus de la mêlée, bien au contraire, mais, je préfère être à côté. Aux autoroutes de l’information où l’on croise tant d’inepties, je préfère mes chemins de traverse, où les rencontres se font plus rares, mais où elles impriment souvent une empreinte indélébile.
Mes affinités pour la philosophie bouddhiste (il ne m’appartient pas de débattre si c’est une religion ou une philosophie, je pencherai davantage pour un art de vivre) et pour les spiritualités viennent de cette tendance à vouloir comprendre, mais surtout à me comprendre. Et si surprenante peut paraître cette attention, l’étude des spiritualités m’éloigne chaque jour un peu plus des religions, surtout de la pratique incohérente de certains « fidèles ». Ce triste constat est valable pour toutes les confessions. La spiritualité rapproche les êtres humains. Les religions divisent les êtres humains. Le Mahatma Gandhi disait : « Ma vie est mon seul enseignement. ». Et c’est entièrement vrai pour mon tout petit ego. C’est un pur cliché de dire que je rencontre chaque jour, et j’en rencontre peu, des gens tristes, malades psychologiquement, insatisfaits en permanence. Obnubilés par le souci de paraître au lieu que d’être. Je les comprends d’autant mieux que j’ai longtemps été semblable à eux, et que je ne suis toujours pas exempt de sautes d’humeurs pour des choses aussi dérisoires qu’un robinet qui fuit (dans la nuit à gouttes feutrées…) ou une boulangerie fermée. (Et autres commerces de même farine…)
Je n’ai donc nulle leçon à donner, ni préceptes à enseigner. Je fais simplement mienne cette phrase de Gandhi, ma vie est mon seul enseignement, et ce principe connu mais bien peu appliqué, ne cherchez pas un chemin, vous êtes le chemin. Dans notre passage éclair sur la terre, nous croisons quantité de nos semblables, avec les mêmes doutes, les mêmes peurs, les mêmes désirs et les mêmes douleurs. Nous vivons des arrivées et des départs, des arrivées qui nous emplissent de joie et des départs qui nous plongent dans la souffrance. La vie quotidienne nous fait oublier qui nous sommes par une pression sociale de plus en plus forte, pression que souvent nous nous infligeons d’un cœur léger d’ailleurs, nous sommes nos propres bourreaux psychologiques.
Donc, pas de prosélytisme à trois sous, simplement un constat, il est triste de constater que mes contemporains considèrent l’étude des spiritualités bouddhistes ou de même nature comme la consultation d’un livre de recettes de cuisine, voire une gymnastique quelconque saupoudrée de concepts vaguement magiques. La danse saugrenue d’Alice et de ses complices interprétée de manière tronquée ou imparfaite, des gesticulations faites dans l’urgence et sans y penser. Cette tendance occidentale de vouloir obtenir une récompense ou une sanction… La vie est bien plus complexe et la vie est bien plus simple. Cultiver ce paradoxe… Et n’oubliez pas : votre vie est votre enseignement.
« Je ne voudrais être rien d'autre qu'un homme qui arrose son jardin et qui, attentif à ces travaux simples, laisse pénétrer en lui ce monde qu'il n'habitera pas longtemps. »
Philippe Jaccottet