LES DEUX SOEURS Elles
avaient 2 ans d'écart. Elles avaient incontestablement des points communs, des
gouts communs, mais c'est la cadette qui était l'élément moteur de leur duo.
Lise était une petite brunette de 18 ans, aux yeux noisette, au visage franc et
rieur. Elle parlait toujours avec autorité, et disait toujours «
nous », sachant que jamais son ainée ne la désavouerait.
Patricia, dite Pat, avait 20 ans. Elle
était un peu plus grande que sa sœur, brune également, mais ses yeux bleus, ses
pommettes hautes, donnaient à son visage, toujours calme, un charme
particulier.
Les 2 soeurs s'adoraient. Elles disaient
volontiers qu'elles ne se marieraient jamais et qu'elles vivraient toujours
ensemble. Et elles pensaient réellement ce qu'elles disaient.
Un Dimanche du début du mois de Juillet, les
vacances venaient à peine de commencer, il y eut dans ce petit village du Gers,
comme chaque année, une foire de produits locaux. Les foies gras, les "
pastis( pâtisserie feuilletée à la pate très légère ) les confits d'oie, les
magrets de canard et l'armagnac étaient les produits vedettes.
Au fond de la place, le dernier stand était
occupé par un jeune apiculteur qui avait amené une "ruche claire",
c'est à dire une ruche en verre, dans laquelle, on pouvait voir les abeilles claustrées se livrer à leurs
occupations habituelles....sauf le butinage bien sur.
Les deux soeurs stationnèrent longtemps
devant ce stand. Et, bien après avoir acheté 2 pots de miel et un pot de
pollen, elles restèrent avec l’apiculteur. Lise, toujours la porte parole, posait
des questions à un jeune homme timide, qui au fur et à mesure que des questions
lui étaient posées sur l'apiculture prenait de l'assurance. Lorsque des clients
venaient, il les servait tout en continuant à répondre aux questions de ses
jolies clientes qui ne semblaient pas pressées de s'en aller.
Lorsqu'elles rentrèrent dans la propriété
de leurs parents, Lise dit à sa soeur.
- Ce jeune apiculteur est intéressant. nous
irons lui rendre visite pour voir sa miellerie, et peut être achèterons nous 2
ou 3 ruches pour produire un peu de miel. Qu'en penses tu?
Cette question était superflue. Pat était
toujours d'accord avec sa soeur.
En effet, le lendemain, les deux soeurs se
trouvaient dans un appentis pour voir s'il y avait des briques, pour servir de
support à leurs futures ruches.
Elles entendirent des voix. C'étaient celles
de leur voisin et de sa femme qui passaient
prés de l'appentis pour aller vers leur garage.
Sans l'avoir voulu, elles entendirent la
voisine dire à son mari.
- Crois tu que monsieur Bernard va finir par
dire aux petites qu'elles ne sont pas des soeurs, et même pas parentes?
- Je l'espère. Je ne trouve pas honnête de le
leur cacher.
Les voisins s'éloignaient et leurs paroles
ne furent plus audibles. Mais Lise et Pat, décomposées, restèrent silencieuses
un bon moment
Ce fut Lise, bien entendu qui la première,
se reprit:
- Viens, nous allons voir Papa et lui demander
ce que cela signifie
- Oh, non, non Lise. Je ne veux pas savoir. Ne
demandons rien à Papa.
- Si, Pat, il faut savoir.
Comme toujours, c'est Lise qui eut le
dernier mot.
Monsieur Bernard était dans son bureau. Il
faisait un devis pour un client. En entendant frapper à la porte, il dit:
Entrez et releva la tête.
- Que se passe t il mes filles?
- Il se passe que nous ne sommes pas tes
filles!
- Quoi? Qui est ce qui vous a dit ça?
- Il parait que nous ne sommes pas soeurs. Est
ce vrai, ou non? Après un moment de silence, Monsieur Bernard leur dit :
- Asseyez-
vous.
Très pales, en entendant pratiquement la
confirmation de ce qu'elles avaient entendu, elles prirent chacune un fauteuil.
- Lorsque tu es née, Patricia, ta Maman et moi
étions follement heureux. Mais ta Maman qui voulait absolument que pendant au
moins 6 mois tu sois nourrie au sein, n'avait malheureusement pratiquement pas
de lait. Nous avons donc cherché une nourrice et nous en avons trouvé une à 15
km d'ici qui venait d'avoir un garçon.
Pendant 8 mois,Patricia, tu es restée en
nourrice, et lorsque tu es revenue ici, tu étais un magnifique bébé.
2 ans après la naissance de son garçon, ta
nourrice eut un deuxième bébé, une fille. L'accouchement s'est très mal passé,
et 8 jours après la Maman mourait.
Le
père, tant bien que mal éleva ses deux enfants. Son fils ainé avait 3 ans
lorsque en labourant un champ très pentu, le tracteur se renversa et le père
fut tué sur le coup.
Les deux enfants restaient seuls, sans
famille.
Les voisins décidèrent de prendre le petit
en tutelle, et d'exploiter la petite exploitation du père jusqu'à la majorité
du garçon. Lorsqu'il eut 18 ans, le garçon, il y a deux ans repris en effet
l'exploitation.
Quand à la petite fille, nous avons, ma
femme et moi décidé de l'adopter. Elle est devenue notre seconde fille. Tu l'as
deviné, Lise, c'est toi.
Jamais nous n'avons fait de différence entre vous
deux. Ma femme s'opposait à ce que nous te révélions la vérité. Sur son lit de
mort, il y a 6 ans elle me demanda de ne rien dire. Vous portiez toutes les
deux notre nom, elle ne voulait pas qu'il y ait une différence entre vous. Je
me suis donc tu. Je me demande comment vous avez pu apprendre la vérité, mais
je le regrette profondément.
En tous cas, rien n'est changé. Vous êtes
mes deux filles chéries.
- Rien n'est changé? dit Lise. Rien n'est
changé? Ma soeur n'est pas ma soeur et j'apprends que j'ai un frère, et tu
trouves que cela ne change rien?
- Est ce que ton affection pour Pat s'en
trouve changée? Est- ce que tu m'aimes moins?
- Non. Bien sur que non. Mais dire que rien
n'est changé, c'est un peu exagéré non? Et mon vrai frère, qu'est il devenu?
- Je te l'ai dit. Il a repris l'exploitation
de vos parents depuis deux ans. Et je crois qu'il a également quelques ruches
- Quelques ruches dis- tu? Attends!!
Et Lise partit en courant dans la cuisine et
revint avec un pot de miel
En lisant l'étiquette, elle demanda:
-Il ne s'appelle pas Jean Dourte par hasard?
- Si. Jean Dourte est ton frère
Patricia, dans son fauteuil pleurait
doucement, quand à Lise, elle regardait fixement le pot de miel comme si elle
espérait qu'il lui donnerait d'autres renseignements sur son frère.
- Mes filles, mes filles, dites moi que rien
n'est changé. Aimez- vous comme deux soeurs, et je suis votre père.
- Il est difficile de dire que rien n'est
changé. D'ailleurs tu viens de dire " aimez vous COMME deux soeurs"
C'est que nous ne le sommes pas.
- Tu n'aimes plus Pat?
- Oh, si, bien sur!
Elle vint vers Patricia toujours en larmes
et la serra dans ses bras.
-Si bien sur j'aime toujours Pat...mais
...ce n'est pas ma soeur.
- Vous portez le même nom, et puis, ce sont
les sentiments qui comptent.
- Oh, des arguments, on peut toujours en
trouver. Mais les faits, eux sont incontestables: tu n'es pas mon père et Pat,
n'est pas ma soeur.
- Ma Lise tu me fais beaucoup de peine.
Légalement je suis ton père adoptif. Et reconnais que je n'ai jamais fait de
différence entre mes deux filles.
- C'est vrai Papa. Excuse- moi. mais tu dois
comprendre que ça me fait un coup d'apprendre tout cela.
Elle alla embrasser son père, puis sa
soeur. Enfin, avec son esprit de décision habituel, elle dit
- Dans l'après midi, je vais aller voir mon
frère. Penses- tu Papa qu'il est au courant de l'existence d'une soeur?
- J'ignore totalement si son tuteur lui en a
parlé.
- Bon. Nous verrons bien. Pat, es- tu d'accord
pour m'y conduire? Si ça te gène dis-le très franchement Ah! vivement que je
passe mon permis de conduire
- Mais ma fille, tu viens d'avoir tes 18 ans,
tu peux t'inscrire à une auto école à Condom. Je suis certain que tu
l'obtiendras du premier coup.
- Je l'espère bien. Parce que.....Parce que,
je crois qu'il faudra que l'on parle des problèmes matériels. il n'y a pas de
raison que je reste à ta charge....
- Oh que tu me fais mal, Lise. Il n'y a rien,
absolument rien de changé. Tu es ma fille au même titre que Patricia
- Maintenant que je sais...Oh, comprends moi,
Papa, c'est si nouveau, si inattendu. Je ne sais pas où j'en suis.
- Les choses sont simples. Je te le répète,
tu es ma fille comme Pat. Il n'y a aucun problème matériel nouveau. La seule
différence c'est que tu as un frère que tu ne connais pas...
- Si, nous l'avons vu avec Pat. Nous lui
avons acheté du miel. Il a l'air sympa. Timide, mais sympa.
- Hé bien tant mieux. Sa Maman, la nourrice de
Pat, ta mère naturelle, était elle même
très gentille.
Dans l'après midi, Pat au volant de
leur petite Opel, elles allèrent à Eauze, chez Jean Dourte.
Lorsqu'elles arrivèrent, le jeune homme
nettoyait des ruches au chalumeau
- Si vous
voulez entrer et m'attendre quelques instants, je vais me laver les mains.
Les deux jeunes filles entrèrent dans une
grande cuisine, simplement meublée mais propre.
Dans une grande cheminée, une grosse buche
finissait de se consumer, et deux fauteuils avec des coussins de vives
couleurs, permettaient a leurs occupants de profiter du feu dans la cheminée.
Jean entra et invita les jeunes filles à
s'asseoir dans les fauteuils, puis il avança une chaise pour lui même.
- Vous nous reconnaissez demanda Lise?
- Oh oui, bien sur, mesdemoiselles, vous
m'avez acheté du miel et du pollen sur le marché.
- C'est vrai. Mais savez-vous qui nous sommes
exactement.
- Oui. Je me suis renseigné (et Jean rougit de
ce que cet aveu pouvait signifier) je sais que vous êtes les filles de Monsieur
Bernard.
- C'est tout ce que vous savez?
- Oui. C'est tout.
- Vous vivez seul ici?
- C'est à dire que oui, je vis ici, mais je
prends mes repas de midi et du soir, chez mon tuteur, qui est aussi mon voisin.
C'est mon tuteur et sa femme qui m'ont élevé. Ce sont presque des parents pour
moi.
- Et vous n'avez ni soeur ni frère?
- Non. Je n'ai absolument aucun parent.
- Vous auriez aimé avoir...par exemple une
soeur?
- Une soeur? Je ne sais pas. Je ne me suis
jamais posé la question, puisque je suis fils unique
- Je vais Jean vous annoncer quelque chose
d'assez sensationnel. ..Je vais me mettre à te tutoyer..
- Oh, si vous voulez. Ca ne me gène pas...
- Mais toi aussi tu peux me tutoyer
- Oh, non. Je n'oserais pas
- Si, tu peux me tutoyer. Parce que je suis ta
soeur.
- Pourquoi me dites- vous ça?
- Je te le dis parce que c'est vrai
-Mais je n'ai pas de soeur. Je le saurais
bien..;
- Ecoute, Jean. Quand un jeune homme et une
jeune fille ont le même père et la même mère, ils sont quoi?
- Ils sont frère et soeur, mais..
- Il n'y a pas de mais? C'est notre cas. Je
vais t'expliquer
Et Lise raconta toute l'histoire..
Jean ne savait que dire:
- Ah, ça alors, Ah ça alors. Alors, vous...
enfin, tu es ma vraie soeur.
- Hé oui. Tu as gagné une soeur, et tu as un
bonus en plus.
- Un bonus?
- Oui, un bonus, une prime si tu veux. Tu as une
soeur plus une soeur de lait, Pat.
Un silence plana un moment.
- Je me croyais absolument seul, sans
famille, et maintenant...Je suis bien content...Bien content...mais c'est un
peu dommage..
- Ah bon? Pourquoi dommage?
- En rougissant, Jean répondit: Parce que vous
me plaisiez bien
- Il est préférable que ta soeur et ta soeur
de lait te soient sympathiques, non?
- Oui, mais je voulais dire...
- Quoi?
- Rien. ...rien. Vous savez ce que nous allons
faire pour arroser ça?
- Non.
- Nous allons boire un Pousse rapière. Vous
connaissez?
- De nom. Mais il parait que c'est très fort
.C 'est quoi exactement
- C'est de la liqueur d'armagnac dans laquelle
on met du vin mousseux blanc.
En donnant ces explications, Jean avait
sorti un carton- présentoir dans lequel se trouvaient une fiole de liqueur
d'armagnac et une bouteille de " vin fou"
Les deux jeunes filles trouvèrent que cette
boisson était exquise et voulurent être resservies.
- Vous savez les filles, je veux bien vous en
donner un deuxième, mais ne vous y trompez pas. Cela se boit facilement mais
vous risquez de ne plus pouvoir tenir debout...
Et c'est vrai, qu'après le deuxième pousse
rapière, ils étaient tous trois euphoriques. Même la timide et peu loquace Pat
riait à gorge déployée et parlait sans arrêt, disant qu'elle était très
contente d'avoir un frère de lait, qu'il n'était pas laid, que le pousse rapière se buvait comme du
petit lait...et autres astuces vaseuses.
Lorsqu'ils voulurent se lever, les deux
filles retombèrent sur leurs sièges, et Jean, leur dit qu'il n'était pas
question qu'il laisse Pat conduire sa voiture.
- Je vais vous reconduire dans votre voiture,
et pour revenir, je me débrouillerai. Ah, je m'en souviendrai du jour ou j'ai
connu mes deux sœurs !!!!
Il aida les jeunes filles à monter dans le
véhicule et les ramena chez elles.
Monsieur Bernard fut très étonné de voir ses
deux filles exubérantes, riant pour un oui ou pour un non. Jean expliqua
qu'elles avaient bu 2 « pousse rapières », et qu'il avait jugé
préférable de les ramener lui même
-
Tu
as bien fait mon garçon....de les ramener...mais tu n'aurais pas du leur faire
boire 2 pousses rapières...Enfin cela marquera votre rencontre. Allons, viens,
je vais te raccompagner chez toi.
( A suivre)